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HORACE.

figure inondée de sueur et parla en ces termes, les jambes pendantes et le reste du corps dans l’altitude du Pensieroso :

« Monsieur, j’ai envie de quitter la peinture et d’entrer dans la médecine, parce qu’on me dit que c’est un meilleur état ; je viens donc vous demander ce que vous en pensez.



C’était le type peuple incarné dans un individu. (Page 9.)

— Vous me faites une question, lui dis-je, à laquelle il est plus difficile de répondre que vous ne pensez. Je crois toutes les professions très-encombrées, et par conséquent tous les états, comme vous dites, très-précaires. De grandes connaissances et une grande capacité ne sont pas des garanties certaines d’avenir ; enfin je ne vois pas en quoi la médecine vous offrirait plus de chances que les arts. Le meilleur parti à prendre c’est celui que nos aptitudes nous indiquent ; et puisque vous avez, assure-t-on, les plus remarquables dispositions pour la peinture, je ne comprends pas que vous en soyez déjà dégoûté.

— Dégoûté, moi ! oh ! non, répliqua le Masaccio ; je ne suis dégoûté de rien du tout, et si l’on pouvait gagner sa vie à faire de la peinture, j’aimerais mieux cela que toute autre chose ; mais il paraît que c’est si long, si long ! Mon patron dit qu’il faudra dessiner le modèle pendant deux ans au moins avant de manier le pinceau. Et puis, avant d’exposer, il paraît qu’il faut encore travailler la peinture au moins deux ou trois ans. Et quand on a exposé, si on n’est pas refusé, on n’est souvent pas plus avancé qu’auparavant. J’étais ce matin au Musée, je croyais que tout le monde allait s’arrêter devant le tableau de mon patron ; car enfin c’est un maître, et un fameux, celui-là ! Eh bien ! la moitié des gens qui passaient ne levaient seulement pas la tête, et ils allaient tous regarder un monsieur qui s’était fait peindre en habit d’artilleur et qui avait des bras de bois et une figure de carton. Passe pour ceux-là : c’étaient de pauvres ignorants ; mais voilà qu’il est venu des jeunes gens, élèves en peinture de différents ateliers, et que chacun disait son mot : ceux-ci blâmaient, ceux-là admiraient ; mais pas un n’a parlé comme j’aurais voulu. Pas un ne comprenait. Je me suis dit alors : À quoi bon faire de l’art pour un public qui n’y voit et qui n’y en-