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TEVERINO.

dans l’intelligence ; et d’ailleurs, son éducation bornée, sa vie lascive et paresseuse ne lui permettent pas de se rendre compte de ses émotions comme vous savez le faire, vous, Madame ! Et comme vous exprimez vos pensées, même dans notre langue, à laquelle vous donnez une forme étrange, toujours noble et saisissante ! Oui, vos sentiments sont des idées, et il me semble, en causant avec vous, que je vous suis dans une région inconnue aux autres êtres. Vous jugez toutes choses, rien ne vous est étranger, et votre science ne vous empêche pas de vous émouvoir et de vous passionner comme ces pauvres créatures qui aiment et admirent sans discernement. Votre imagination est encore aussi riche que si vous n’aviez pas la connaissance de tous les secrets de l’humanité, et, au delà de votre sagesse étonnante, l’idéal vous transporte toujours vers l’infini ! En vérité, mon cerveau s’enflamme au foyer du vôtre, et il me semble que je m’élève au-dessus de moi-même en vous écoutant !



Je suis sûre que vous nous faites un chef-d’œuvre. (Page 31.)

C’est par un tel flux de phrases élogieuses que Teverino versa le poison de la flatterie dans l’âme de la fière lady. Il y avait loin de cette admiration sans bornes et manifestée avec cet entrain italien qui ressemble tant à l’émotion, à la philosophique taquinerie de Léonce. Ce qui lui prêtait un charme irrésistible, c’est que Teverino était à peu près convaincu de ce qu’il disait. Il n’avait guère rencontré de femmes cultivées à ce point, et cette nouveauté avait pour son esprit de recherche avide et d’observation incessante un attrait véritable. Il voulait mettre cette supériorité féminine à l’aise, afin de la voir se manifester dans tout son éclat, et, sachant fort bien que de tels dons sont unis à un grand orgueil, il le caressait par d’ingénieuses adulations. Il était bien difficile, pour ne pas dire impossible, que lady G… distinguât cette passion de connaître de la passion d’aimer. Elle n’avait jamais trouvé d’homme aussi blasé et aussi naïf en même temps que Teverino ; Léonce était beaucoup moins avide d’esprit et beaucoup moins tranquille de cœur auprès d’elle. Elle ne vit donc que la moitié du caractère de cet Italien, véritable dilettante de jouissance intellectuelle, qui, sans compromettre le calme de son propre cœur, attaquait vivement le sien pour l’observer comme un type nouveau dans sa vie.

Elle parla longtemps avec lui, et de quoi, entre un