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CORA.

trai chez moi atterré, et je me mis au lit avec un mouvement de fièvre.



Accablé de douleur, brisé jusqu’à l’âme… (Page 112.)

Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus raisonnables. Je me demandai pourquoi ce mépris idiot et superbe pour les détails de la vie bourgeoise ? pourquoi l’impertinente susceptibilité des âmes poétiques qui croient se souiller au contact des nécessités prosaïques ? pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de la vie ?

Ingrat ! pensai-je, tu te révoltes parce qu’un mémoire de savon et de chandelle a été rédigé et présenté par Cora, tandis que tu devrais baiser la belle main qui t’a fourni ces secours à ton insu durant ta maladie. Que serais-tu devenu, misérable rêveur, si un homme confiant et probe n’eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de son industrie, sans autre gage de remboursement que ta mince garde-robe et ton misérable grabat ? Et si tu étais mort sans pouvoir lire son mémoire et l’acquitter, où sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta succession 30 fr. 50  c. à lui remettre ?

Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui m’avaient sauvé de la souffrance et de la mort, c’était Cora qui les avait préparés. Qui sait, pensai-je, si elle n’a point composé un charme ou murmuré une prière qui leur ait donné la vertu de me guérir ? N’y a-t-elle pas aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai aux portes du tombeau ? Larme divine ! topique céleste !…

J’en étais là quand l’épicier frappa à ma porte : — Tenez, monsieur Georges, me dit-il, ma femme et moi nous craignons de vous avoir fâché. Cora nous a dit que vous aviez eu l’air surpris et que vous aviez acquitté le mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous nous crussiez capables de méfiance envers vous. Nous sommes gênés, il est vrai. Notre commerce ne va pas très-bien ; mais si vous aviez besoin d’argent, nous trouverions encore moyen de vous rendre le vôtre et même de vous en prêter un peu.

Je me jetai dans ses bras avec effusion. — Digne vieillard, m’écriai-je, tout ce que je possède est à vous !… Comptez sur moi à la vie et à la mort. Je parlai longtemps avec l’exaltation de la fièvre. Il me regardait avec son gros œil gris, rond comme celui d’un chat. Quand j’eus fini : — À la bonne heure, dit-il du ton d’un homme qui