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MAUPRAT.

bre. Voilà ce que j’ai à dire contre M. de Mauprat. Il ne tenait qu’à moi de le taire ; mais, ayant autre chose à dire encore, j’ai voulu révéler toute la vérité. »



Edmée était étendue par terre, roide et baignée dans son sang.
(Page 76.)

Patience fit une pause ; l’auditoire et la cour elle-même, qui commençait à s’intéresser à moi et à perdre l’âcreté de ses préventions, restèrent comme atterrés d’une déposition si différente de celle qu’on attendait.

Patience reprit la parole. « Je suis resté convaincu pendant plusieurs semaines, dit-il, du crime de Bernard. Et puis j’ai beaucoup réfléchi à cela ; je me suis dit bien des fois qu’un homme aussi bon et aussi instruit que l’était Bernard, un homme dont Edmée faisait tant d’estime, et que M. le chevalier de Mauprat aimait comme son fils, un homme enfin qui avait tant d’idées sur la justice et sur la vérité, ne pouvait pas du jour au lendemain devenir un scélérat. Et puis il m’est venu l’idée que ce pouvait bien être quelque autre Mauprat qui eut fait le coup. Je ne parle pas de celui qui est trappiste, ajouta-t-il en cherchant dans l’auditoire Jean de Mauprat, qui n’y était pas : je parle de celui dont la mort n’a pas été constatée, quoique la cour ait cru devoir passer outre et en croire M. Jean de Mauprat sur parole.

— Témoin, dit le président, je vous ferai observer que vous n’êtes ici ni pour servir d’avocat à l’accusé, ni pour réviser les arrêts de la cour. Vous devez dire ce que vous savez du fait, et non ce que vous préjugiez du fond de l’affaire. — Possible, répondit Patience. Il faut pourtant que je dise pourquoi je n’ai pas voulu témoigner la première fois contre Bernard, n’ayant à fournir que des preuves contre lui et n’ayant pas foi à ces preuves mêmes. — On ne vous le demande pas pour le moment. Ne vous écartez pas de votre déposition. — Un instant ! j’ai mon honneur à défendre. J’ai ma propre conduite à expliquer, s’il vous plaît. — Vous n’êtes pas l’accusé, vous n’avez pas lieu à plaider votre propre cause. Si la cour juge à projos de vous poursuivre pour votre désobéissance, vous aviserez à vous défendre ; mais il n’est pas question de cela maintenant. — Il est question de faire savoir à la cour si je suis un honnête homme ou un faux témoin. Pardon, il me semble que cela fait quelque chose à l’affaire ; la vie de l’accusé en dépend ; la cour ne peut pas regarder cela comme indifférent. — Parlez, dit l’avocat du roi, et tâchez de garder le respect que vous devez à la cour.