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MAUPRAT.



Le pauvre animal avait senti son maître de loin… (Page 58.)

— J’entends, lui dis-je, Blaireau est mort, et vous ne pouvez vous habituer à l’idée que vous ne le verrez plus sur vos traces ?

— Mort ! s’écria-t-il avec un geste d’épouvante. Non, Dieu merci ! Ami Patience, grand ami ! Blaireau heureux, mais triste comme son maître, son maître seul !

— Si Blaireau est chez Patience, dit Arthur, il est heureux en effet, car Patience ne manque de rien ; Patience le chérira pour l’amour de vous, et certainement vous reverrez votre digne ami et votre chien fidèle. »

Marcasse leva les yeux sur la personne qui semblait si bien connaître sa vie ; mais, s’étant assuré qu’il ne l’avait jamais vue, il prit le parti qu’il avait coutume de prendre quand il ne comprenait pas ; il souleva son chapeau et salua respectueusement.

Marcasse fut, à ma prompte recommandation, enrôlé sous mes ordres, et peu de temps après il fut nommé sergent. Ce digne homme fit toute la campagne avec moi et la fit bravement, et lorsqu’en 1782 je passai sous le drapeau de ma nation et rejoignis l’armée de Rochambeau, il me suivit, voulant partager mon sort jusqu’à la fin. Dans les premiers jours, il fut pour moi un amusement plutôt qu’une société ; mais bientôt sa bonne conduite et son intrépidité calme lui méritèrent l’estime de tous, et j’eus lieu d’être fier de mon protégé. Arthur aussi le prit en grande amitié, et hors du service il nous accompagnait dans toutes nos promenades, portant la boîte du naturaliste, et perforant les serpents de son épée.

Mais lorsque j’essayai de le faire parler de ma cousine, il ne me satisfit point. Soit qu’il ne comprît pas l’intérêt que je mettais à savoir tous les détails de la vie qu’elle menait loin de moi, soit qu’il se fût fait à cet égard une de ces lois invariables qui gouvernaient sa conscience, jamais je ne pus obtenir une solution claire aux doutes qui me tourmentaient. Il me dit bien d’abord qu’il n’était question de son mariage avec personne ; mais quelque habitué que je fusse à la manière vague dont il s’exprimait, je m’imaginai qu’il avait fait cette réponse avec embarras et de l’air d’un homme qui s’est engagé à garder un secret. L’honneur me défendait d’insister au point de lui laisser voir mes espérances ; il y eut donc toujours entre nous un point douloureux auquel j’évitais de toucher, et sur lequel, malgré moi, je me trouvais revenir toujours. Tant qu’Arthur fut près de moi, je gardai ma