si fière ne pourrait se tromper si grossièrement ! elle ne s’éprendrait pas ainsi à la première vue, d’un marquis de ma façon. Et pourtant, ajoutait-il en examinant Teverino (alors au plus brillant de son rôle), si on ne regarde que la beauté merveilleuse de ce bohémien, l’aisance de ses manières, cet air incroyablement distingué ; si on écoute cette voix harmonieuse, ce langage pétillant d’esprit et de poésie, qui possédera plus de charme ? qui attirera plus de sympathie ? N’est-ce point là un marquis italien qui n’a peut-être point son égal dans toute l’aristocratie de l’univers ? Est-il une seule femme assez aveugle pour n’en être pas éblouie ?
Léonce devint soucieux, et Sabina fut forcée de le secouer pour le tirer de ses rêveries. Le soleil baissait, le temps était propice pour s’en retourner ; le curé, plus impatient encore de faire cuire ses truites et ses champignons que de calmer les inquiétudes de sa gouvernante et de son sacristain, invitait ses convives à revenir avec lui au presbytère. Madeleine, assise à l’écart, et complètement muette, semblait indifférente à tout ce qui se passait autour d’elle.
— Seigneur Léontio, dit le vagabond en italien à Léonce, au moment où ils allaient remonter en voiture, êtes-vous amoureux de lady Sabina ?
— Vous êtes bien curieux, Signor marchese ! répondit Léonce avec une sécheresse ironique.
— Non ! mais je suis votre ami, un royal ami, et je dois connaître vos sentiments, afin de ne pas les contrarier.
— Vous êtes un fat, mon cher !
— Vous avez déjà du dépit ? Eh bien, que vous disais-je, que vingt-quatre heures entre nous seraient le bout du monde ? Allons, j’ai deviné votre secret, et je n’ai pas besoin d’insister. Léonce, vous reconnaîtrez que Teverino est un galant homme !
Et s’élançant sur le siège : — C’est moi qui suis le cocher, dit-il à haute voix. Dame Érèbe, dit-il à la négresse, vous irez dans la voiture et je conduirai les chevaux. J’ai la passion des chevaux !
— Ceci n’est pas aimable, observa lady G…, évidemment contrariée de cet arrangement. Notre société n’a guère d’attraits pour vous, Marquis !
— Et puis vous ne connaissez pas le pays, objecta le curé. Nous nous sommes déjà égarés : n’allez pas nous