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JEANNE.



Le curé Alain.

Guillaume, étourdi d’abord de cette marque de respect qu’il prenait pour une preuve de confiance extrême, retrouva bientôt ses esprits en se rappelant qu’à son arrivée à Boussac, huit jours auparavant, une grosse servante, qui n’était pas suspecte de coquetterie, lui avait donné, en l’appelant son petit maître, la même accolade familière. Ma chère enfant, dit-il à Jeanne, en affectant de prendre, à cause de Marsillat, un ton fort grave : je ne vous dis pas adieu ; je vous reverrai demain pour l’enterrement de ma pauvre mère nourrice, auquel je compte assister.

— Ce sera bien de l’honneur pour nous, mon parrain, dit Jeanne.

— C’est bien de votre part, cela, Monsieur le baron, s’écria le curé ; c’est très-beau. J’ose dire qu’il y a peu de jeunes gens dans les hautes classes capables d’un sentiment aussi humble et d’un acte aussi religieux. Ma chère Jeanne, vous avez là un bon parrain, un véritable ami. Prenez donc courage, ma fille, et, en acceptant avec résignation le malheur qui vous a frappée aujourd’hui, songez aussi à remercier la Providence, qui vous envoie si à propos un protecteur généreux, comme pour vous épargner l’horreur de l’abandon. Je souhaite vivement que la respectable mère de M. le baron vous prenne auprès d’elle, afin que vous retrouviez en elle une seconde mère, comme vous avez déjà un véritable frère en Jésus-Christ, dans la personne de son fils.

— Mon petit parrain, vous me faites bien plus d’amitiés que je n’en mérite ; je prierai bien le bon Dieu pour vous, et pour vous aussi, monsieur le curé. Et, attendrie jusqu’au fond du cœur, de l’intérêt qu’on lui montrait, la bonne Jeanne se retira en sanglotant.

Le curé sortit pour l’aider à reprendre sa besace, qu’elle avait laissée derrière la porte, et qui contenait les provisions pour le repas des funérailles. Le fils de Léonard, un gros garçon de seize ans, franchement laid et jovial, attendait Jeanne dans la cuisine pour la reconduire chez elle et l’aider à porter le reste. La pluie avait cessé, mais le vent soufflait encore avec violence, et la nuit, plus prompte qu’à l’ordinaire, à cause des voiles épais qui cachaient le soleil, s’étendait sur la campagne.

— Oui, monsieur le baron, disait le desservant ému, en rentrant dans la chambre haute où il avait laissé ses deux hôtes, Jeanne serait pour votre maison une excel-