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METELLA.

Metella eut envie de lui dire qu’il n’avait pas toujours été aussi insouciant ; mais elle craignit de tomber dans les phrases du vocabulaire des femmes abandonnées, elle garda le silence.

Le comte se promena quelque temps dans l’appartement d’un air sombre.

« Vous vous ennuyez, mon ami ? lui dit-elle avec douceur.

— Moi ! pas du tout ! Je suis un peu souffrant. » Lady Mowbray se tut de nouveau, et le comte continua à se promener en long et en large. Quand il la regarda, il s’aperçut qu’elle pleurait. « Eh bien ! qu’est-ce que vous avez ? lui dit-il en feignant la plus grande surprise. Vous pleurez parce que j’ai un peu mal à la gorge.

— Si j’étais sûre que vous souffrez, je ne pleurerais pas.

— Grand merci, milady !

— J’essaierais de vous soulager ; mais je crois que votre mal est sans remède.

— Quel est donc mon mal, s’il vous plaît ?

— Regardez-moi, monsieur, répondit-elle en se levant et en lui montrant son visage flétri ; votre mal est écrit sur mon front…

— Vous êtes folle, répondit-il en levant les épaules, ou plutôt, vous êtes furieuse de vieillir ! Est-ce ma faute, à moi ? puis-je l’empêcher ?

— Oh ! certainement, Luigi, répondit Metella, vous auriez pu l’empêcher encore ! » Elle retomba sur son fauteuil, pâle, tremblante, et fondit en larmes.

Le comte fut attendri, puis contrarié ; et, cédant au dernier mouvement, il lui dit brutalement : « Parbleu ! madame, vous ne devriez pas pleurer ; cela ne vous embellira pas. » Et il sortit avec colère.

« Il faut absolument que cela finisse, pensa-t-il quand il fut dans la rue. Il n’est pas en mon pouvoir de feindre plus longtemps un amour que je ne ressens plus. Tous ces ménagements ressemblent à l’hypocrisie. Ma faiblesse d’ailleurs prolonge l’incertitude et les souffrances de cette malheureuse femme. C’est une sorte d’agonie que nous endurons tous deux. Il faut couper ce lien, puisqu’elle ne veut pas le dénouer. »

Il retourna sur ses pas et la trouva évanouie dans les bras de ses femmes : il en fut touché et lui demanda pardon. Quand il la vit plus calme, il se retira plus mécontent lui-même que s’il l’eût laissée furieuse. « Il est donc décidé, se dit-il en serrant les poings sous son manteau, que je n’aurai pas l’énergie de me débarrasser d’une femme ! » Il s’excita tant qu’il put à prendre un parti décisif, et toujours, au moment d’en adopter un, il sentit qu’il n’aurait pas le courage de braver le désespoir de Metella. Après tout, que ce fût par vanité ou par tendresse, il l’avait aimée, il avait vécu dix ans heureux auprès d’elle, il lui devait en partie l’éclat de sa position dans le monde, et il y avait des jours où elle était encore si belle qu’on le proclamait heureux : il était heureux ces jours-là. « Cependant il le faut, pensa-t-il ; car dans peu de temps elle sera décidément laide : je ne pourrai plus la souffrir, et je ne serai pas assez fort pour lui cacher mon dégoût. Alors notre rupture sera éclatante et rude. Il vaudrait mieux qu’elle se fit à l’amiable dès à présent… »

Il se promena seul pendant une heure au clair de la lune. Il était tellement malheureux que lady Mowbray serait venue au-devant de ses desseins si elle avait su combien il était rongé d’ennui. Enfin il s’arrêta au milieu de la rue ; et, regardant autour de lui dans une sorte de détresse, il vit qu’il était devant l’hôtel où logeait Olivier. Il y entra précipitamment, je ne sais pas bien pourquoi, et peut-être ne le savait-il pas non plus lui-même. Quoi qu’il en soit, il demanda le Genevois, et apprit avec plaisir qu’il était chez lui. Il le trouva se disposant à aller au bal chez un banquier auquel il était recommandé. Olivier fut surpris de l’agitation du comte. Il ne l’avait pas encore vu ainsi, et ne savait que penser de son air inquiet et de ses fréquentes contradictions. Rien de ce qu’il disait ne semblait être dans ses habitudes ni dans son caractère. Enfin, après un quart d’heure de cette étrange manière d’être, Buondelmonte lui pressa la main avec effusion, le conjura de venir souvent chez lady Mowbray. Après lui avoir fait mille politesses exagérées, il se retira précipitamment, comme un homme qui vient de commettre un crime.

Il retourna chez lady Mowbray : il la trouva souffrante et prête à se mettre au lit. Il l’engagea à se distraire et à venir avec lui au bal chez le banquier A… Metella n’en avait pas la moindre envie ; mais, voyant que le comte le désirait vivement, elle céda pour lui faire plaisir, et ordonna à ses femmes de préparer sa toilette.

« Vraiment, Luigi, lui dit-elle en s’habillant, je ne vous comprends plus. Vous avez mille caprices : avant-hier je désirais aller au bal de la princesse Wilhelmine, et vous m’en avez empêchée ; aujourd’hui…

— Ah ! c’était bien différent : j’avais un rhume effroyable ce jour-là… Je tousse encore un peu…

— On m’a dit cependant…

— Qu’est-ce qu’on vous a dit ? et qui est-ce qui vous l’a dit ?

— Oh ! c’est le jeune Suisse avec lequel vous avez voyagé, et que j’ai vu au spectacle hier soir ; il m’a dit qu’il vous avait rencontré la veille au bal chez la princesse Wilhelmine.

— Ah ! madame, dit le comte, je comprends très-bien les raisons de M. Olivier de Genève pour me calomnier auprès de vous !

— Vous calomnier, dit Metella en levant les épaules. Est-ce qu’il sait que vous m’avez fait un mensonge ?

— Est-ce que vous allez mettre cette robe-là, milady ? interrompit le comte. Oh ! mais vous négligez votre toilette déplorablement !

— Cette robe arrive de France, mon ami ; elle est de Victorine, et vous ne l’avez pas encore vue.

— Mais une robe de velours violet ! c’est d’une sévérité effrayante.

— Attendez donc : il y a des nœuds et des torsades d’argent qui lui donnent beaucoup d’éclat.

— Ah ! c’est vrai ! voilà une toilette très-riche et très-noble. On a beau dire, Metella, c’est encore vous qui avez la mise la plus élégante, et il n’y a pas une femme de vingt ans qui puisse se vanter d’avoir une taille aussi belle…

— Hélas ! dit Metella, je ne sens plus la souplesse que j’avais autrefois ; ma démarche n’est plus aussi légère ; il me semble que je m’affaisse et que je suis moins grande d’une ligne chaque jour.

— Vous êtes trop sincère et trop bonne, ma chère lady, dit le comte en baissant la voix. Il ne faut pas dire cela, surtout devant vos soubrettes ; ce sont des babillardes qui iront le répéter dans toute la ville.

— J’ai un délateur qui parlera plus haut qu’elles, répondit Metella : c’est votre indifférence.

— Ah ! toujours des reproches ! Mon Dieu ! qu’une femme qui se croit offensée est cruelle dans sa plainte et persévérante dans sa vengeance !

— Vengeance ! moi, vengeance ! dit Metella.

— Non, je me sers d’un mot inconvenant, ma chère lady ; vous êtes douce et généreuse, en ai-je jamais douté ! Allons, ne nous querellons pas, au nom du ciel ! Ne prenez pas votre air abattu et fatigué. Votre coiffure est bien plate, ne trouvez-vous pas ?

— Vous aimez ces bandeaux lisses avec un diamant sur le front…

— Je trouve qu’à présent les tresses descendant le long des joues, à la manière des reines du moyen âge, vous vont encore mieux.

— Il est vrai que mes joues ne sont plus très-rondes, et qu’on les voit moins avec des tresses. Francesca, faites-moi des tresses.

— Metella, dit le comte lorsqu’elle fut coiffée, pourquoi ne mettez-vous pas de rouge ?

— Hélas ! il est donc temps que j’en mette, répondit-elle tristement. Je me flattais de n’en jamais avoir besoin.

— C’est une folie, ma chère ; est-ce que tout le monde n’en met pas ? Les plus jeunes femmes en ont.

— Vous haïssez le fard, et vous me disiez souvent que vous préfériez ma pâleur à une fraîcheur factice.