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ANDRÉ



Libres et seuls dans une prairie charmante… (Page 60.)

— En son nom ? dit André, effrayé de l’emportement qu’il venait de montrer.

— Et au nom de son honneur, qui est perdu, je vous dis.

— Et vous avez tort d’oser le dire, repartit André en colère, car c’est un mensonge infâme. »

Henriette, en colère à son tour, frappa du pied.

« Comment ! s’écria-t-elle, vous avez, le front de dire que vous ne lui faites pas la cour, quand cette pauvre enfant est diffamée et montrée au doigt dans toute la ville, quand les demoiselles de la première société refusent de dîner sur l’herbe avec elle et lui tournent le dos dès qu’elle ouvre la bouche ; quand tous les garçons crient qu’il faut l’insulter en public, qu’elle le mérite pour avoir trompé tout le monde et pour avoir méprisé ses égaux !

— Qu’ils y viennent ! s’écria André transporté de colère.

— Ils y viendront, et vous aurez beau monter la garde et en assommer une douzaine, Geneviève l’aura entendu, seul le monde autour d’elle l’aura répété ; la blessure sera sans remède : elle aura reçu le coup de la mort.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria André en joignant les mains, que je suis malheureux ! Quoi ! Geneviève est désolée à ce point ! sa vie est en danger peut-être, et j’en suis la cause !

— Vous devez en avoir du regret, dit Henriette.

— Ah ! si tout mon sang pouvait racheter sa vie ! si le sacrifice de toutes mes espérances pouvait assurer son repos !…

— Eh bien ! eh bien ! dit Henriette d’un air profondément ému, si cela est vrai, de quoi vous affligez-vous ? qu’y a-t-il de désespéré ?

— Mais que faire ? dit André avec angoisse.

— Comment ! vous le demandez ? Aimez-vous Geneviève ?

— Peut-on en douter ? Je l’aime plus que ma vie !

— Êtes-vous un homme d’honneur ?

— Pourquoi cette question, mademoiselle ?

— Parce que si vous aimiez Geneviève, et si vous étiez un honnête homme, vous l’épouseriez. »

André, éperdu, fit une grande exclamation et regarda Henriette d’un air effaré.

« Eh bien ! s’écria-t-elle, voilà votre réponse ? C’est