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VALENTINE.

confier cette hisloire, mais il n’en était pas besoin ; je l’aurais devinée, quand même on ne vous eût pas prévenue. Je comprends fort bien vos scrupules dans la situation délicate où les préjugés et les usages vous rejettent ; mais moi, qui m’applique plus positivement à obtenir des résultats physiques, je me charge de calmer ces deux cœurs égarés, et de guérir l’un par l’autre.

En ce moment Valentine ouvrit les yeux et reconnut sa sœur. Après l’avoir embrassée, elle lui demanda à voix basse des nouvelles de Bénédict. Alors le médecin prit la parole :

— Madame, lui dit-il, c’est moi qui puis vous en donner, puisque c’est moi qui l’ai soigné et qui ai eu le bonheur jusqu’ici de prolonger sa vie. L’ami qui vous inquiète, et qui a des droits à l’intérêt de toute âme noble et généreuse comme la vôtre, est maintenant physiquement hors de danger. Mais le moral est loin d’une aussi rapide guérison, et vous seule pouvez l’opérer.

— Ô mon Dieu ! dit la pâle Valentine en joignant les mains et en attachant sur le médecin ce regard triste et profond que donne la maladie.

— Oui, Madame, reprit-il, un ordre de votre bouche, une parole de consolation et de force, peuvent seuls fermer cette blessure ; elle le serait sans l’affreuse obstination du malade à en arracher l’appareil aussitôt que la cicatrice se forme. Notre jeune ami est atteint d’un profond découragement, Madame, et ce n’est pas moi qui ai des secrets assez puissants pour la douleur morale. J’ai besoin de votre aide, voudrez-vous me l’accorder ?

En parlant ainsi, le bon vieux médecin de campagne, obscur savant, qui avait maintes fois dans sa vie étanché du sang et des larmes, prit la main de Valentine avec une affectueuse douceur qui n’était pas sans un mélange d’antique galanterie, et la baisa méthodiquement, après en avoir compté les pulsations.

Valentine, trop faible pour bien comprendre ce qu’elle entendait, le regardait avec une surprise naïve et un triste sourire.

— Eh bien ! ma chère enfant, dit le vieillard, voulez-vous être mon aide-major et venir mettre la dernière main à cette cure ?

Valentine ne répondit que par un signe d’avidité ingénue.

— Demain ? reprit-il.

— Oh ! tout de suite ! répondit-elle d’une voix faible et pénétrante.

— Tout de suite, ma pauvre enfant ? dit le médecin en souriant. Eh ! voyez donc ces flambeaux ! il est deux heures du matin ; mais si vous voulez me promettre d’être sage et de bien dormir, et de ne pas reprendre la fièvre d’ici à demain, nous irons dans la matinée faire une promenade dans le bois de Vavray. Il y a de ce côté-là une petite maison où vous porterez l’espoir et la vie.

Valentine pressa à son tour la main du vieux médecin, se laissa médicamenter avec la docilité d’un enfant, passa son bras autour du cou de Louise, et s’endormit sur son sein d’un sommeil paisible.

— Y pensez-vous, monsieur Faure ? dit Louise en la voyant assoupie. Comment voulez-vous qu’elle ait la force de sortir, elle qui était encore à l’agonie il y a quelques heures ?

— Elle l’aura, comptez-y, répondit M. Faure. Ces affections nerveuses n’affaiblissent le corps qu’aux heures de la crise. Celle-ci est si évidemment liée à des causes morales, qu’une révolution favorable dans les idées doit en amener une équivalente dans la maladie. Plusieurs fois, depuis l’invasion du mal, j’ai vu madame de Lansac passer d’une prostration effrayante à une surabondance d’énergie à laquelle j’eusse voulu donner un aliment. Il existe des symptômes de la même affection chez Bénédict ; ces deux personnes sont nécessaires l’une a l’autre…

— Oh ! monsieur Faure ! dit Louise, n’allons-nous pas commettre une grande imprudence ?

— Je ne le crois pas ; les passions dangereuses pour la vie des individus comme pour celle des sociétés sont les passions que l’on irrite et que l’on exaspère. N’ai-je pas été jeune ? n’ai-je pas été amoureux à en perdre l’esprit ? N’ai-je pas guéri ? ne suis-je pas devenu vieux ? Allez, le temps et l’expérience marchent pour tous. Laissez guérir ces pauvres enfants ; après qu’ils auront trouvé la force de vivre, ils trouveront celle de se séparer. Mais, croyez-moi, hâtons le paroxysme de la passion ; elle éclaterait sans nous d’une manière peut-être plus terrible ; en la sanctionnant de notre présence, nous la calmerons un peu.

— Oh ! pour lui, pour elle, je ferai tous les sacrifices ! répondit Louise ; mais que dira-t-on de nous, monsieur Faure ? Quel rôle coupable allons-nous jouer ?

— Si votre conscience ne vous le reproche pas, qu’avez-vous à craindre des hommes ? Ne vous ont-ils pas fait le mal qu’ils pouvaient vous faire ? Leur devez-vous beaucoup de reconnaissance pour l’indulgence et la charité que vous avez trouvées en ce monde ?

Le sourire malin et affectueux du vieillard fit rougir Louise. Elle se chargea d’éloigner de chez Bénédict tout témoin indiscret, et le lendemain Valentine, M. Faure et la nourrice, s’étant fait promener environ une heure en calèche dans le bois de Vavray, mirent pied à terre dans un endroit sombre et solitaire, où ils dirent à l’équipage de les attendre. Valentine, appuyée sur le bras de sa nourrice, s’enfonça dans un des chemins tortueux qui descendent vers le ravin ; et M. Faure, prenant les devants, alla s’assurer par lui-même qu’il n’y avait personne de trop à la maison de Bénédict. Louise avait, sous différents prétextes, renvoyé tout le monde ; elle était seule avec son malade endormi. Le médecin lui avait défendu de le prévenir, dans la crainte que l’impatience ne lui fût trop pénible et n’augmentât son irritation.

Quand Valentine approcha du seuil de cette chaumière, elle fut saisie d’un tremblement convulsif ; mais M. Faure, venant à elle, lui dit :

— Allons, Madame, il est temps d’avoir du courage et d’en donner à ceux qui en manquent ; songez que la vie de mon malade est dans vos mains.

Valentine, réprimant aussitôt son émotion avec cette force de l’âme qui devrait détruire toutes les convictions du matérialisme, pénétra dans cette chambre grise et sombre, où gisait le malade entre ses quatre rideaux de serge verte.

Louise voulait conduire sa sœur vers Bénédict, mais M. Faure lui prenant la main :

— Nous sommes de trop ici, ma belle curieuse ; allons admirer les légumes du jardin. Et vous, Catherine, dit-il à la nourrice, installez-vous sur ce banc, au seuil de la maison, et, si quelqu’un paraissait sur le sentier, frappez des mains pour nous avertir.

Il entraîna Louise, dont les angoisses furent inexprimables durant cet entretien. Nous ne saurions affirmer si une involontaire et poignante jalousie n’entrait pas pour beaucoup dans le déplaisir de sa situation et dans les reproches qu’elle se faisait à elle-même.

XXVI.

Au léger bruit que firent les anneaux du rideau en glissant sur la tringle rouillée, Bénédict se souleva à demi éveillé et murmura le nom de Valentine. Il venait de la voir dans ses rêves ; mais quand il la vit réellement devant lui, il fit un cri de joie que Louise entendit du fond du jardin, et qui la pénétra de douleur.

— Valentine, dit-il, est-ce votre ombre qui vient m’appeler ? Je suis prêt à vous suivre.

Valentine se laissa tomber sur une chaise.

— C’est moi qui viens vous ordonner de vivre, lui répondit-elle, ou vous prier de me tuer avec vous.

— Je l’aimerais mieux ainsi, dit Bénédict.

— Ô mon ami ! dit Valentine, le suicide est un acte impie ; sans cela, nous serions réunis dans la tombe. Mais Dieu le défend ; il nous maudirait, il nous punirait par une éternelle séparation. Acceptons la vie, quelle