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LA PETITE FADETTE.

— En ce cas, j’accepte votre bonjour, dit-elle en lui prenant la main et en la gardant dans la sienne ; car jamais je ne repousse une honnêteté, et je ne vous crois point assez faux pour me marquer de l’intérêt si vous n’en sentiez pas un peu pour moi.

Sylvain ressentit un grand bien, quoique tout éveillé, d’avoir sa main dans celle de la Fadette, et il lui dit d’un ton très-doux :

— Vous m’avez pourtant bien malmené hier au soir, Fanchon, et je ne sais comment il se fait que je ne vous en veux point. Je vous trouve même bien bonne de venir me voir, après tout ce que vous avez à me reprocher.

La Fadette s’assit auprès de son lit et lui parla tout autrement qu’elle n’avait fait la veille ; elle y mit tant de bonté, tant de douceur et de tendresse, que Sylvain en éprouva un soulagement et un plaisir d’autant plus grands qu’il l’avait jugée plus courroucée contre lui. Il pleura beaucoup, se confessa de tous ses torts et lui demanda même son pardon et son amitié avec tant d’esprit et d’honnêteté, qu’elle reconnut bien qu’il avait le cœur meilleur que la tête. Elle le laissa s’épancher, le grondant encore quelquefois, et, quand elle voulait quitter sa main, il la retenait, parce qu’il lui semblait que cette main le guérissait de sa maladie et de son chagrin en même temps.

Quand elle le vit au point où elle le voulait, elle lui dit :

— Je vas sortir, et vous vous lèverez, Sylvain, car vous n’avez plus la fièvre, et il ne faut pas rester à vous dorloter, tandis que votre mère se fatigue à vous servir et perd son temps à vous tenir compagnie. Vous mangerez ensuite ce que votre mère vous présentera de ma part. C’est de la viande, et je sais que vous vous en dites dégoûté, et que vous ne vivez plus que de mauvais herbages. Mais il n’importe, vous vous forcerez, et, quand même vous y auriez de la répugnance, vous n’en ferez rien paraître. Cela fera plaisir à votre mère de vous voir manger du solide ; et quant à vous, la répugnance que vous aurez surmontée et cachée sera moindre la prochaine fois, et nulle la troisième. Vous verrez si je me trompe. Adieu donc, et qu’on ne me fasse pas revenir de sitôt pour vous, car je sais que vous ne serez plus malade si vous ne voulez plus l’être.

— Vous ne reviendrez donc pas ce soir ? dit Sylvinet. J’aurais cru que vous reviendriez.

— Je ne suis pas médecin pour de l’argent, Sylvain, et j’ai autre chose à faire que de vous soigner quand vous n’êtes pas malade.

— Vous avez raison, Fadette ; mais le désir de vous voir, vous croyez que c’était encore de l’égoïsme : c’était autre chose, j’avais du soulagement à causer avec vous.

— Eh bien, vous n’êtes pas impotent, et vous connaissez ma demeurance. Vous n’ignorez pas que je vais être votre sœur par le mariage, comme je le suis déjà par l’amitié ; vous pouvez donc bien venir causer avec moi, sans qu’il y ait à cela rien de répréhensible.

— J’irai, puisque vous l’agréez, dit Sylvinet. À revoir donc, Fadette ; je vas me lever, quoique j’aie un grand mal de tête, pour n’avoir point dormi et m’être bien désolé toute la nuit.

— Je veux bien vous ôter encore ce mal de tête, dit-elle ; mais songez que ce sera le dernier, et que je vous commande de bien dormir la prochaine nuit.

Elle lui imposa la main sur le front, et, au bout de cinq minutes, il se trouva si rafraîchi et si consolé qu’il ne sentait plus aucun mal.

— Je vois bien, lui dit-il, que j’avais tort de m’y refuser, Fadette ; car vous êtes grande remégeuse, et vous savez charmer la maladie. Tous les autres m’ont fait du mal par leurs drogues, et vous, rien que de me toucher, vous me guérissez ; je pense que si je pouvais toujours être auprès de vous, vous m’empêcheriez d’être jamais malade ou fautif. Mais, dites-moi, Fadette, n’êtes-vous plus fâchêe contre moi ? et voulez-vous compter sur la parole que je vous ai donnée de me soumettre à vous entièrement ?

— J’y compte, dit-elle, et, à moins que vous ne changiez d’idée, je vous aimerai comme si vous étiez mon besson.

— Si vous pensiez ce que vous me dites là, Fanchon, vous me diriez tu et non pas vous ; car ce n’est pas la coutume des bessons de se parler avec tant de cérémonie.

— Allons, Sylvain, lève-toi, mange, cause, promène-toi et dors, dit-elle en se levant. Voilà mon commandement pour aujourd’hui. Demain tu travailleras.

— Et j’irai te voir, dit Sylvinet.

— Soit, dit-elle ; et elle s’en alla en le regardant d’un air d’amitié et de pardon, qui lui donna soudainement la force et l’envie de quitter son lit de misère et de fainéantise.

XL.

La mère Barbeau ne pouvait assez s’émerveiller de l’habileté de la petite Fadette, et, le soir, elle disait à son homme : — Voilà Sylvinet qui se porte mieux qu’il n’a fait depuis six mois ; il a mangé de tout ce qu’on lui a présenté aujourd’hui, sans faire ses grimaces accoutumées ; et ce qu’il y a de plus imaginant, c’est qu’il parle de la petite Fadette comme du bon Dieu, il n’y a pas de bien qu’il ne m’en ait dit, et il souhaite grandement le retour et le mariage de son frère. C’est comme un miracle, et je ne sais pas si je dors ou si je veille.

— Miracle ou non, dit le père Barbeau, cette fille-là a un grand esprit, et je crois bien que ça doit porter bonheur de l’avoir dans une famille.

Sylvinet partit trois jours après pour aller quérir son frère à Arthon. Il avait demandé à son père et à la Fadette, comme une grande récompense, de pouvoir être le premier à lui annoncer son bonheur.

— Tous les bonheurs me viennent donc à la fois, dit Landry en se pâmant de joie dans ses bras, puisque c’est toi qui viens me chercher, et que tu parais aussi content que moi-même.

Ils revinrent ensemble sans s’amuser en chemin, comme on peut croire, et il n’y eut pas de gens plus heureux que les gens de la Bessonnière quand ils se virent tous attablés pour souper avec la petite Fadette et le petit Jeanet au milieu d’eux.

La vie leur fut bien douce à tretous pendant une demi-année ; car la jeune Nanette fut accordée à Cadet Caillaud, qui était le meilleur ami de Landry après ceux de sa famille. Et il fut arrêté que les deux noces se feraient en même temps. Sylvinet avait pris pour la Fadette une amitié si grande qu’il ne faisait rien sans la consulter, et elle avait sur lui tant d’empire qu’il semblait la regarder comme sa sœur. Il n’était plus malade, et, de jalousie, il n’en était plus question. Si quelquefois encore il paraissait triste et en train de rêvasser, la Fadette le réprimandait, et tout aussitôt il devenait souriant et communicatif.

Les deux mariages eurent lieu le même jour et à la même messe, et, comme le moyen ne manquait pas, on fit de si belles noces que le père Caillaud, qui, de sa vie, n’avait perdu son sang-froid, fit mine d’être un peu gris le troisième jour. Rien ne corrompit la joie de Landry et de toute la famille, et mêmement on pourrait dire de tout le pays ; car les deux familles, qui étaient riches, et la petite Fadette, qui l’était autant que les Barbeau et les Caillaud tout ensemble, firent à tout le monde de grandes honnêtetés et de grandes charités. Fanchon avait le cœur trop bon pour ne pas souhaiter de rendre le bien pour le mal à tous ceux qui l’avaient mal jugée. Mêmement par la suite, quand Landry eut acheté un beau bien qu’il gouvernait on ne peut mieux par son savoir et celui de sa femme, elle y fit bâtir une jolie maison, à l’effet d’y recueillir tous les enfants malheureux de la commune durant quatre heures par chaque jour de la semaine, et elle prenait elle-même la peine, avec son frère Jeanet, de les instruire, de leur enseigner la vraie religion, et même d’assister les plus nécessiteux dans leur misère. Elle se souvenait d’avoir été une enfant malheureuse et délaissée, et les beaux enfants qu’elle mit au monde furent stylés de bonne heure à être affables et compatissants pour ceux qui n’étaient ni riches ni choyés.

Mais qu’advint-il de Sylvinet au milieu du bonheur de