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JEANNE.



Marie et Elvire.

Marie de Boussac était moins fraîche et moins bien tournée que sa compagne ; mais sans être jolie, elle était infiniment agréable. Pâle, un peu maigre, la taille un peu grêle et voûtée, le menton un peu long, elle n’avait de vraiment beau que les yeux et les cheveux ; mais l’expression de sa physionomie était si pure et si intéressante, son regard et son sourire témoignaient d’une âme si sensible et si généreuse, qu’il était impossible de la regarder et de causer quelques instants avec elle sans la trouver charmante et sans désirer son estime et son affection.

Quoiqu’elle fût souvent rêveuse, elle était fort gaie en cet instant, ainsi que sa compagne, l’ennuyée et pesante Elvire, lorsqu’elles entrèrent dans le grand salon…

— Maman, dit Marie, d’un ton qu’elle s’efforçait de rendre calme et dégagé, mais qui ne savait pas mentir, même en plaisantant, voici deux dames de la ville qui vous demandent de les présenter à leur nouvelle sous-préfette. Et aussitôt parurent deux dames, dont la première s’avança si hardiment et salua d’une façon si ridicule, que les deux demoiselles éclatèrent de rire malgré leurs efforts pour continuer la comédie.

Il n’avait fallu qu’un instant à madame de Boussac pour reconnaître la désinvolture de Claudie, travestie en demoiselle. Mais la grosse Charmois, qui avait la vue basse, et à qui les traits de la soubrette n’étaient pas encore familiers, se leva, fort mécontente de l’accueil impertinent que ces demoiselles, et notamment sa fille, faisaient à une de ses administrées. Elle ne se calma qu’en entendant madame de Boussac dire en riant :

— Tu es ravissante, Claudie, tu as l’air d’une duchesse !…

— De l’Empire ! ajouta la Charmois en se rasseyant… C’était donc là la cause de votre bruyante gaieté, mesdemoiselles ?

— Mesdames, c’est aujourd’hui le 1er avril ! s’écria Marie de Boussac. Nous vous avons servi le poisson de rigueur. C’était notre devoir… et notre droit !

— Vous êtes pardonnées, mes enfants, répondit madame de Boussac. Madame de Charmois a été attrapée, elle a fait la révérence : mais je crois que je le suis aussi, moi, car je ne reconnais pas du tout l’autre dame qui se tient là-bas sans oser montrer son nez. Entrez donc, Madame, qu’on vous regarde.

— Approche donc, toi, cria Claudie… tu vois bien