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LES MISSISSIPIENS.

ne sais à quoi vous pensez tous. Comprend-on un jour de noces où toute la famille attend les mariés dans une maison, tandis qu’ils s’amusent à babiller dans l’autre ?… Monsieur Puymonfort, votre majordome envoie ici message sur message pour vous dire que votre hôtel est plein de monde et qu’il ne sait où donner de la tête, et vous êtes inabordable…

SAMUEL.

Ma mère est là, qui ne s’en tirera pas mal… C’est une femme qui n’est pas sotte.

LA MARQUISE, à part.

Et qui a une jolie tournure !

(Elle se contient un instant, puis éclate de rire.)
LE CHEVALIER, avec amertume.

Vous êtes fort gaie, ma tante !

(La marquise passe auprès du duc et lui parle bas.)
LE CHEVALIER, bas à Julie.

Que se passe-t-il, Julie ? Mon Dieu !

JULIE, bas

Vous devez partir à l’instant même, et ne me revoir jamais.

SAMUEL, passant entre eux.

Monsieur le chevalier, je suis tout à vous. Ma femme vient de m’ouvrir son cœur, et de me dire que vous désiriez prendre congé d’elle. Je suis heureux de trouver cette occasion pour vous offrir mes petits services…. Vous partez ? Une de mes voitures et plusieurs de mes gens sont à votre disposition… Vous êtes gêné d’argent ? m’a-t-on dit. Mes correspondants ont déjà reçu avis de tenir des fonds à votre ordre dans toutes les villes où vous voudrez séjourner, tant en France qu’à l’étranger.

LE CHEVALIER, avec hauteur.

C’est trop de grâces… Je n’en ai que faire.

SAMUEL, lui offrant un portefeuille.

Vous voulez de l’argent comptant ?

(Le chevalier jette le portefeuille à terre avec un mouvement de fureur.)
SAMUEL le ramasse tranquillement, l’ouvre et en tire un papier qu’il lui pressente.

Puisque vous ne voulez rien me devoir, reprenez donc ce petit effet au porteur de quatre cent vingt-cinq louis qui a été passé à mon ordre par Isaac Schmidt, échéable au 15 octobre 1703, c’est-à-dire après-demain.

LE CHEVALIER, le repoussant avec indignation.

J’acquitterai cette dette, Monsieur, n’en doutez pas.

SAMUEL, remettant le papier dans sa poche.

À votre aise !… Maintenant, je vous présente le bonjour, et vous souhaite un bon voyage. Ma femme vous en souhaite autant et vous fait ici ses adieux.

(Il s’éloigne d’un pas, mais sans les perdre de vue.)
LE CHEVALIER, à Julie.

Ainsi vous trahissez jusqu’au secret, vous effacez jusqu’au souvenir de notre amour !

JULIE.

Partez ! il le faut.

LE CHEVALIER.

Oh ! malédiction sur vous !

(Il veut se retirer par la petite porte.)
SAMUEL, se rapprochant.

Pas par ici, les portes sont closes. Si vous voulez donner le bras à ma femme jusqu’à la voiture, vous sortirez par la grande porte.

(Le chevalier jette à Julie un regard d’indignation, à Samuel un regard de mépris, et s’élance dehors avec impétuosité.)
SAMUEL, bas, prenant le bras de Julie.

Allons ! ferme sur les jambes ! marchons !

JULIE.

Et la lettre de cachet ! ne la déchirez-vous pas ?

SAMUEL.

Nous verrons cela demain.

LA MARQUISE, moitié triste, moitié gaie, prenant le bras du duc et les suivant.

N’est-ce pas incroyable ?… Comment ce Bourset a-t-il pu s’emparer si vite de sa confiance ?

LE DUC.

Ce n’est pas malhabile de la part de Julie. Le chevalier, furieux et passionné, eût pu la compromettre par ses clameurs involontaires. Elle lui ferme la bouche en prenant son mari pour rempart ; c’était le meilleur parti.

LA MARQUISE.

Pauvre chevalier !

LE DUC.

Pauvre Bourset, peut-être !


ACTE PREMIER.


La maison de campagne de Samuel Bourset, à quelques lieues de Paris. — Dans les jardins, une tente décorée pour la fête.


PERSONNAGES

LA MARQUISE.

LE DUC.

JULIE.

SAMUEL BOURSET, devenu comte de Puymonfort.

LOUISE, fille de Samuel et de Julie.

GEORGE FREEMAN, voyageur américain.

LUCETTE, fille du jardinier, sœur de lait de Louise.

LE DUC DE LA F…

LE COMTE DE HORN.

LE DUC DE M…

LE COMTE DE ***.

LE MARQUIS ***.

Plusieurs autres personnages de qualité.


Scène PREMIÈRE.


LA MARQUISE, LE DUC.
LA MARQUISE.

Eh ! voyez, mon cher duc, comme ceci est galant ! quelle riche décoration ! partout le chiffre de Julie entrelacé par des fleurs à celui de mon gendre, des guirlandes, des écussons, des draperies ! Sur ces gradins en amphithéâtre se placera l’orchestre. Ma fille et son mari seront sur cette belle estrade. C’est ici qu’ils couronneront la rosière. Et, avec cela, un temps magnifique. Oh ! toute la cour y sera ! Je parierais gros que le régent lui-même… ou tout au moins une des princesses ses filles, y viendra.

LE DUC.

Eh ! pourquoi pas ? Votre gendre est fort bien en cour à l’heure qu’il est, et pour cause !… Pour qui ce fauteuil de velours à crépines d’or ?

LA MARQUISE.

Et pour quel autre que le bienfaiteur, le sauveur, le prestidigitateur écossais Law ? C’est aujourd’hui l’homme de la France. Et quelle fête un peu belle pourrait se passer de sa présence ?

LE DUC.

Quelle fortune un peu solide pourrait se passer de son appui ?

LA MARQUISE.

Cela, nous l’avons.

LE DUC.

En êtes-vous bien sûre ?

LA MARQUISE.

C’est à charge de revanche : car certainement Law n’a pas moins besoin de nos fonds que nous de son crédit.

LE DUC.

L’un me paraît plus certain que l’autre… Enfin ! ça commence magnifiquement, et je souhaite que ça finisse de même… Eh bien ! marquise, qui nous eût prédit, le 13 octobre 1703, que nous célébrerions aussi gaiement et avec autant d’éclat, en l’an de grâce 1719, l’anniversaire du mariage de Julie ? Ce mariage ne s’annonçait pourtant pas sous d’heureux auspices ; tout était larmes et désespoir, gémissements et syncopes, quand nous conduisions la victime à l’autel. Le soleil même ne brillait pas comme aujourd’hui, ce qui n’empêchait pas que mes jambes ne me fissent moins mal… Ah ! j’étais encore jeune alors.

LA MARQUISE.

Vous le serez toujours.

LE DUC.

C’est pour que je vous en dise autant, railleuse !