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LE SECRÉTAIRE INTIME.

cinq minutes dix-sept secondes ; et dans cette saison…



Ô phytophage gigantesque ! fantôme menaçant !… (Page 25.)

— Pour l’amour du ciel ! » remettez-vous, mon cher maître Cantharide ! s’écria la princesse en avalant son mouchoir pour ne pas éclater de rire ; car les princes ne rient point impunément, et ils n’ont pas même la liberté de sourire sans voir autour d’eux assez de figures épanouies pour les faire mourir du spleen. La princesse, qui aimait beaucoup le digne maître Cantharide, ne voulut point donner à la cour, rassemblée avec stupeur autour de lui, l’exemple d’une gaieté qui fût devenue insultante. Mais le criocère s’étant approché, comme les autres, pour savoir la cause de la défaillance dans laquelle maître Cantharide venait de tomber, l’infortuné savant, voyant de plus près cette face de criocère si bien imitée, eut un véritable accès de frénésie. « Ô spectre ! spectre effrayant ! s’écria-t-il, non, il n’y a pas un costumier sur la terre qui, même en suivant les instructions des plus grands savants de l’univers, soit capable d’exécuter une pareille tête de criocère. Ô phytophage gigantesque ! fantôme menaçant ! éloigne-toi, épargne-moi, pardonne-moi. Hélas ! il est bien vrai que, la nuit dernière, je t’ai ramassé dans le calice d’un beau lis penché sur la pièce d’eau ; il est vrai que je t’ai arraché sans pitié de ton palais embaumé, et que je t’ai inhumainement saisi dans la poussière d’or où tu te réfugiais ! Oui, j’ai mis fin à ton innocente vie, à une vie toute d’amour, de liberté, de zéphire et de bonheur. Je t’ai dépecé membre par membre, viscère par viscère ; j’ai enfoncé dans tes flancs une pince cruelle et des aiguilles acérées ; je t’ai vu mourir dans les convulsions d’une lente agonie. Oh ! que Dieu me le pardonne ! j’en ai d’épouvantables remords. Malgré les crimes énormes que j’ai accumulés sur ma tête, jamais je n’en ai commis d’aussi atroce que celui de ta mort. Modeste et gracieuse créature, hélas ! hélas ! quand je te vis étendue par morceaux sur le talc de mon microscope, je fus saisi d’horreur, et je me demandai de quel droit… Mais épargne-moi ta vue ; ton fantôme exagéré jusqu’aux proportions humaines me glace d’effroi. Que deviendrais-je, ô ciel ! si tous les insectes que j’ai mutilés, écartelés, empalés, m’apparaissaient, à cette heure, armés de leurs cornes, de leurs dents, de leurs scies, de leurs griffes, de leurs aiguillons… »

La gravité de la princesse ne put tenir plus longtemps à ce discours extraordinaire ; elle eut le malheur de ren-