Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, 1854.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
LE SECRÉTAIRE INTIME.

monts et merveilles de la part du comte. J’ai fait semblant d’accepter ; mais je ne suis pas Italien à ce point-là. Je dois déjà recevoir demain un très-joli cheval dont j’ai paru prendre envie ; je le rendrai certes au comte quand j’aurai réussi à faire manquer son mariage ; mais je me servirai si bien du palefroi qu’il aura à peine la force, quand je le rendrai, d’aller des écuries de monsieur le comte à l’abattoir.



Ils gagnèrent en marchant un endroit découvert… ! (Page 23.)

— Mais cette histoire de Max ? dit Julien préoccupé.

— Ah ! tu n’as en tête que des idées lugubres ; amusons-nous aujourd’hui, sauf à nous envoler comme lui par les airs demain matin !… »

XI.

Lorsque Julien rentra dans le bal, il remarqua un personnage qu’il n’avait pas encore vu. C’était un très-joli scarabée appelé par les entomologistes criocère du lis. Il est d’un beau rouge luisant, avec une face très-effilée et fort spirituelle. Les personnes qui l’ont examiné au microscope lui ont reconnu plusieurs protubérances avantageuses et un regard plein d’affabilité. Ce scarabée produisait dans le bal une très-grande sensation, non pas tant à cause de son corselet, dont la perfection effaçait tous les autres, qu’à cause de son visage, qui était miraculeusement imité. Il portait un masque si semblable à la nature, que le professeur d’histoire naturelle de la cour se frotta l’œil gauche et se demanda s’il n’avait pas devant la pupille le verre de son excellentissime microscope, garni d’un véritable criocère. S’étant bien convaincu que ce gigantesque scarabée était vraiment devant lui dans des proportions réelles et palpables, il tomba dans une sorte de délire, et, se redressant sur son fauteuil, il s’écria en pâlissant et en levant ses mains jointes au-dessus de sa tête : « Pardonne-moi, ô maître de la nature, pardonne-moi, puissant Créateur, la mort de tant d’insectes inoffensifs ! Oui, j’en conviens, j’ai massacré les plus innocents papillons ! j’ai percé d’une épingle et condamné à un épouvantable supplice les plus irréprochables coléoptères ! mais je ne l’ai fait ni par haine ni par vengeance ; j’en prends à témoin la lumière du soleil, ou, pour mieux dire, celle de la lune, qui doit être levée, car il est deux heures trente-