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LE SECRÉTAIRE INTIME.

tredit beaucoup plus jeune, plus belle et plus séduisante qu’avec sa robe noire et son air pensif. Mais Saint-Julien l’avait aimée beaucoup mieux ainsi, et maintenant elle l’effrayait comme autrefois ; ses doutes évanouis longtemps se réveillaient, sa confiance et sa joie pâlissaient à mesure que la beauté de Quintilia s’illuminait d’un éclat plus vif.



Je me nomme Galeotto degli Stratigopoli… (Page 14.)

« Un genou en terre, lui dit le page à l’oreille, et tâchez de baiser sa main. »

Julien crut qu’on le persiflait ; peu s’en fallut qu’il n’accusât Quintilia d’être complice d’une mystification préparée contre lui. Il se laissa tomber à demi sur le carreau de velours qui était à ses pieds, et, tout palpitant, il leva sur elle un regard qui semblait être un triste et doux reproche. Mais, au lieu de le railler, comme il s’y attendait, Quintilia lui prit la main.

« Eh quoi ! des fleurs à la main de Giuliano ! lui dit-elle avec gaieté ; mais je crois que le monde est bouleversé, et tu m’apportes précisément les fleurs que j’aime, la rose turque et la pompadoura qui enivre ! Donne, donne, Giuliano. Toi aussi, tu veux donc te rajeunir et te retremper ! Bien, mon fils ; faisons-leur voir que le travail ne nous a pas rendus stupides, et que nos esprits ne sont point émoussés comme nos plumes. »

Quintilia, en disant ces folles paroles, embrassa son secrétaire intime sur les deux joues. C’était la première fois, et il s’y attendait si peu, que sa tête se troubla, et il lui fut impossible de comprendre ce qui se passait autour de lui.

Un feu d’artifice fut tiré sur l’eau, et un grand souper, qui sembla improvisé, mais que Galeotto et Ginetta tenaient prêt depuis longtemps, prolongea la fête assez avant dans la nuit. Saint-Julien suivit d’abord machinalement Quintilia ; il était encore sous l’impression délirante de ce baiser : il ne songea qu’à la trouver belle dans sa nouvelle parure, gracieuse et spirituelle avec ceux qui venaient la complimenter. Mais peu à peu cet entourage de courtisans qu’il avait perdu l’habitude de voir se placer entre elle et lui, ce bruit qui ne lui permettait plus d’être seul entendu, ce mouvement qui semblait enivrer Quintilia, lui devinrent odieux. Il fut souvent tenté de quitter cette cohue et d’aller s’enfermer dans sa chambre. Un sentiment de jalousie inquiète et chagrine le retint auprès de la princesse.