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SIMON.

dis, et le rosaire était enlacé aux mains jointes de la vieille femme, qui s’était doucement assoupie en s’entretenant avec l’âme de son frère. Bonne travaillait auprès d’elle. Fiamma baisa le front ridé de Jeanne sans l’éveiller, et pressa Bonne contre son cœur. Celle-ci vit bien, à l’émotion de son amie, qu’il s’était passé quelque chose d’extraordinaire. Elle voulut la suivre sur le seuil de la chaumière et l’interroger. Mais il n’y a rien de si pudique que le sentiment de l’amour. Fiamma s’enfuit en mettant son doigt sur sa bouche, comme si le sommeil de madame Féline eût été la seule cause de sa réserve.

Bientôt Simon rentra. Il s’inquiétait de ne pas voir arriver à l’église sa mère toujours si matinale et si exacte surtout pour cette commémoration. Il s’effraya encore plus en la voyant couchée ; mais Bonne le rassura, et ils se mirent à causer à voix basse. Bonne était curieuse, non des sottes puérilités de la vie, mais de tout ce qui intéressait son cœur aimant. Sa noble conduite réclamait toute la confiance de Simon. Il lui ouvrit son âme, lui avoua sa joie et ses espérances, et lui dit que c’était à elle qu’il devrait son bonheur. Cette dernière parole acheva de consoler Bonne de son sacrifice, et, dès qu’elle fut bien assurée que l’amour de Simon était payé de retour, elle sentit dans son cœur le même calme et le même désintéressement qu’elle aurait eus si Féline eût toujours été son frère.

Dans l’après-midi, Simon alla trouver M. Parquet au sortir de l’office. Jusqu’au dernier coup de la cloche, le bon avoué s’était livré au sommeil, et, sans le pieux devoir qu’il avait à remplir envers son défunt ami, il déclarait qu’après une nuit si remplie d’émotions il ne se fût pas si tôt arraché aux caresses de Morphée.

« Mon ami, lui dit son filleul, je viens vous déclarer qu’il faut que vous arrangiez à tout prix mon mariage.

— Oh ! oh ! décidément ? dit M. Parquet, qui n’avait pas revu sa fille dans la journée. Il y a pourtant des réflexions à vous soumettre encore. J’ai parlé de vous à mademoiselle de Fougères.

— Et moi aussi, mon ami, je lui ai parlé.

— Ah ! et elle vous a ôté tout espoir ? Alors je désespère moi-même…

— Non, mon cher Parquet, ne désespérez pas, elle m’aime.

— Elle vous l’a dit ? Je le savais, moi, mais je ne croyais pas qu’elle vous épouserait. Du moment qu’elle vous l’a dit, elle consent à vous épouser ; car c’est une fille qui ne se laisse pas entraîner par la passion. Tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait est le résultat d’une volonté arrêtée. Ainsi, ce n’est pas Bonne que vous venez me demander, c’est Fiamma ?

— Oui, mon père.

— Tu as raison de m’appeler ainsi ; je ne cesserai jamais de te regarder comme mon fils. Attends-moi donc ici, je vais et je reviens.

— Mais où donc courez-vous si vite ?

— Chez M. de Fougères.

— C’est vous presser beaucoup. Avez-vous réfléchi à cette première démarche ? Avez-vous consulté Fiamma sur le moyen d’obtenir le consentement de son père sans blesser la prudence et sans ajouter de nouveaux obstacles à ceux qui existent déjà ?

— Et quels sont-ils, ces obstacles ?

— Je les ignore mais je présume que c’est la vanité nobiliaire du comte.

— Si c’est là tout, j’ai ton affaire dans ma poche.

— Comment ?

— Il suffit. Fiamma t’a-t-elle dit son grand secret ?

— Non, en vérité.

— Alors je ne sais ce que je fais ni où je marche. Cette fille a une tête de fer, et nous ne la tenons pas encore. Voyons, que t’a-t-elle promis ?

— Rien. Mais elle n’aime.

— Eh bien ! alors il faut agir sans elle. Il y a dans son âme quelque scrupule, quelque terreur qu’il faut vaincre. Elle ne veut pas de dot, et tu es riche : voilà, je crois, son objection.

— Et moi, si elle a une dot, je ne veux pas d’elle. Voici la mienne.

— Bon ! dit l’avoué, c’est ainsi que je l’entends. Allons, ma canne, où l’ai-je posée ? et mon chapeau ?

— Où allez-vous donc de ce pas mon père ? dit Bonne, qui rentrait en cet instant.

— Au château.

— Alors remettez donc votre habit neuf que vous venez de quitter.

— Non pas ; ce serait faire trop d’honneur à cet avaricieux.

— Comment ! vous allez au château avec cet habit troué qui ne vous sert qu’au jardinage ?

— Sans nul doute, et avec mes sabots encore ! Crois-tu pas que je vais m’attifer pour un Fougères ?

— Mais sa femme ? On doit des égards aux dames.

— Sa femme ? Elle me trouvera encore trop bien.

— Je vous assure, mon père, que vous avez tort. J’ai trouvé hier M. le comte bien froid pour vous. Vous perdrez sa clientèle, vous verrez cela. Et puis, en vous voyant si malpropre, cette dame va penser que je suis une paresseuse, une fille sans cœur, qui ne songe qu’à sa toilette et qui ne soigne pas celle de son père.

— Je ne perdrai la clientèle de personne, répondit l’avoué d’un ton superbe, et personne ne se permettra de faire de réflexions sur mon compte. »

En parlant ainsi, il prit le chemin du château. Il y entra d’un air rogue, sans essuyer ses sabots à la porte, à la grande indignation des laquais. Il demanda le comte à voix haute, pénétra dans le salon tout d’une pièce, sans être annoncé, faisant craquer les parquets, crachant sur les tapis et couvrant les meubles de tabac.

Ces manières bourrues, chez un homme aussi fin et aussi prudent que maître Parquet, pénétrèrent de terreur la jeune comtesse de Fougères, qui travaillait dans l’embrasure d’une fenêtre. Au lieu d’essayer de lui faire baisser le ton, ce à quoi elle n’eût pas manqué en toute autre occasion, elle l’accabla de politesses et alla elle-même chercher son mari afin que Parquet ne s’avisât pas de dire, comme le grand roi : J’ai failli attendre. La nouvelle comtesse de Fougères était une veuve de province, entendant ses intérêts tout aussi bien que le comte, et tout à fait digne d’être sa moitié. Mais depuis quelque temps elle avait un tort grave aux yeux de M. de Fougères. Une grande partie de ses biens était mise en échec par un procès dont l’issue donnait des craintes assez fondées.

« Je vous demande un million de pardons, s’écria le comte de Fougères en entrant et en se tenant courbé, afin d’avoir un air excessivement poli, sans faire trop de révérences affectées ; je vous ai fait attendre bien malgré moi. J’ai voulu rester jusqu’à la fin de l’office et aller même jeter à mon tour de l’eau bénite sur la tombe de ce digne abbé Féline.

— Vous avez pris trop de peine, monsieur le comte, répondit Parquet brusquement ; l’abbé Féline est au ciel depuis longtemps, et nous n’y sommes pas encore, nous autres.

— Hélas ! sans doute, répliqua le comte d’un ton patelin ; qui peut se croire digne d’y entrer ?

— Ceux-là seuls qui méprisent les biens de la terre, reprit l’avoué. Mais, voyons, monsieur le comte, je ne suis pas venu ici pour un entretien mystique ; je viens vous dire que je ne puis souscrire à votre demande.

— En vérité ! s’écria le comte, affectant un air consterné et une grande surprise, afin de ramener, s’il était possible, quelque remords dans l’âme de Parquet.

— En vérité, monsieur le comte. Vous m’avez fait là une demande injuste, et dont je ne pouvais pas être l’interprète sans inconvenance et sans folie.

— Vous n’avez donc pas rempli ma commission auprès de M. Féline ?

— Des choses de cette importance, monsieur le comte, ne se traitent pas ordinairement par ambassade, mais de puissance à puissance. Ah ! il se peut que le mot vous paraisse fort, mais il en est ainsi. Simon Féline, mon filleul, le fils de la mère Jeanne, est à cette heure une