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LE PICCININO.

sement. Sans doute il y a à tout cela une cause très-naturelle dont je ne m’avise pas. N’en est-il pas toujours ainsi des causes premières ? La seule qu’on ne devine pas, c’est justement la plus simple. Ah ! si Mila savait avec quel danger elle se joue, et le mal dont elle pourrait préserver ma raison en me disant la vérité !… Je la presserai tellement demain qu’elle m’avouera tout ! »



Le Piccinino enjamber adroitement le mur. (Page 115.)

Et pendant que Michel se parlait ainsi à lui-même, l’eau cristalline murmurait toujours dans l’étroit bassin où tremblotait le spectre de la lune. C’était un petit monument de terre cuite, d’une naïveté classique, qui épanchait cette onde discrète ; un Cupidon marin saisissant une grosse carpe, dont la bouche lançait d’un pied de haut le filet d’eau dans le réservoir. L’artisan qui avait exécuté cette figurine avait voulu lui donner l’air mutin, mais il n’avait réussi qu’à donner aux gros yeux de la carpe une expression de férocité grotesque. Michel regardait ce groupe sans le voir, et c’était en vain que la nuit se faisait belle et parfumée ; lui, l’amant passionné de la nature, perdu dans ses propres pensées, lui refusait ce soir-là son hommage accoutumé.

Et pourtant ce murmure de l’eau agissait sur son imagination sans qu’il voulût s’en rendre compte. Il lui rappelait une harmonie semblable, le murmure timide et mélancolique dont la Naïade de marbre remplissait la grotte du palais Palmarosa en épanchant son urne dans la conque ; et les délices de son rêve repassaient devant lui, et Michel eût voulu pouvoir s’endormir là pour retrouver son hallucination.

« Mais quoi ! se dit-il tout à coup, ne suis-je pas un novice bien ridicule ? Ne s’est-on pas arrêté ici pour m’inviter à prolonger un tête-à-tête brûlant ? Ce que j’ai pris pour une froide explication du trouble qu’on éprouvait, cette fatigue soudaine, cette fantaisie de s’asseoir dans le jardin du premier venu, n’est-ce point un encouragement à ma timidité farouche ? »

Il s’approcha vivement de la princesse, et se sentit enhardi par l’ombre de la tonnelle. Le banc était si petit, qu’à moins de l’engager à lui faire place, il ne pouvait s’asseoir à ses côtés. Il s’assit sur l’herbe, non pas précisément à ses pieds, mais assez près pour être bientôt plus près encore.

« Eh bien, Michel, lui dit-elle avec une incroyable douceur dans la voix, êtes-vous donc fatigué, vous aussi ?