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LE PICCININO.

un froid glacial, que la figure se décolorait vite, que la respiration devenait égale et faible.



Le Piccinino ouvrit et parcourut encore quelques papiers. (Page 105.)

« C’est un bon résultat, dit-il comme se parlant à lui-même ; et une si faible dose ! Je suis content de l’expérience. Cela est très-préférable à des coups, à une lutte, à des cris étouffés par un bâillon ! n’est-ce pas Mila ? Une femme peut assister à cela sans attaque de nerfs ? Voilà les moyens que j’aime, et, si on les connaissait bien, on n’en emploierait jamais d’autres. Vous n’en parlerez pourtant jamais, Mila, entendez-vous ? car on en abuserait, et vous voyez que personne, non, personne, ne pourrait s’en préserver. Si j’avais voulu vous endormir comme cela, il n’eût tenu qu’à moi !… Accepteriez-vous maintenant un verre d’eau de ma main, si je vous l’offrais ?

― Oui, seigneur, je l’accepterais, répondit Mila, qui prit ce défi pour une plaisanterie. ― Il plaisante à propos de tout, se disait Mila. C’est un esprit railleur comme Michel.

― Vous n’auriez donc pas plus de méfiance que ce pauvre abbé ? reprit le Piccinino d’un ton distrait ; car il était occupé à fouiller son dormeur avec beaucoup de sang-froid.

― Vous m’avez défendu de respirer seulement ce vin, répondit Mila ; donc vous n’aviez pas envie de me jouer un mauvais tour !

― Ah ! voici !… murmura le Piccinino, en prenant un portefeuille dans la poche de l’abbé. Ne vous impatientez pas, Mila ; il faut que j’examine cela. »

Et, s’asseyant devant la table, il ouvrit le portefeuille et en tira divers papiers dont il prit connaissance avec une promptitude calme.

« Une délation contre Marc-Antonio Ferrera !… un homme obscur ; sans doute un mari dont il voulait corrompre la femme ! Tenez, Mila, voici mon briquet à fumer. Voulez-vous allumer la lampe et brûler ça ? Ce Marc-Antonio ne se doute point que votre belle main le sauve de la prison…

« Et ceci ? Ah ! c’est plus significatif ; un avis anonyme donné au capitaine de la ville, que le marquis de la Serra ourdit une conspiration contre le gouvernement ! Le cher abbé voulait écarter le Sigisbée de la princesse,