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KOURROGLOU.

oglou. Pourquoi lui as-tu donné le cheval ? » Le pacha dit : « Allons, vite, descends, Aushik, es-tu sourd ? » Kourroglou dit : « Pacha, je me rappelle un air ; écoute-moi :



Voici mon tribut. (Page 28.)

Improvisation. — « Le cheval est à moi. Je ferai couvrir son précieux dos de housses de soie. Je le ferai baigner dans toute une rivière de vin rouge. C’est l’élu de Kourroglou, l’élu entre cinq cents chevaux. Le cœur met en lui ses délices. Quand le chef des palefreniers, Daly-Mehter, s’approche de lui, il se lève sur ses jambes de derrière, et le palefrenier, pour le panser, est obligé de le frapper sur la bouche avec un bâton. »

« Alors tu es Kourroglou, s’écria le pacha ; j’en remercie Dieu ! Je t’ai cherché dans le ciel, et je t’ai trouvé sur la terre. Je vais te faire mettre en pièces ici, de telle sorte qu’il ne reste pas de traces de toi sur la terre. »

Hamza-Beg, voyant que la querelle s’échauffait et que les choses, selon toute apparence, deviendraient pires encore, se retira pour voir à quelque distance comment elles finiraient. Le pacha cria : « Hamza-Beg, viens là, voici Kourroglou ! » Hamza-Beg répliqua : « Oui, tu l’as dit ; mais que puis-je faire contre lui ? Ne t’ai-je pas conseillé de ne pas lui mettre le cheval entre les mains ? » Le pacha fut épouvanté, mais il continua d’appeler Kourroglou, lui ordonnant de descendre. Kourroglou chanta ainsi :

Improvisation. — « Hassan-Pacha, ne te fie pas trop à ton pouvoir. J’ai plus d’un serviteur qui te vaut. Que te servira de gravir des montagnes et des rochers ? Crois-moi, le pied de ton cheval ne passera jamais sur mes chemins. Aghas, sultans ! regardez le vaste désert. J’aurai vos corps enveloppés de la tête aux pieds dans la pourpre du sang. Je vous tuerai tous avant de revoir Ayvaz. Mes serviteurs portent de lourds djezzairs[1] sur leurs épaules. Montrez-moi le héros qui puisse tendre mon arc. Avancez, héroïques béliers ! voyons si vous pouvez frapper un bouclier avec vos têtes. Je puis mâcher le fer et le cracher ensuite vers le ciel. Je suis le seigneur de Chamly-Bill et de ses montagnes couvertes sur leurs crêtes de neiges aux mille couleurs. Je compte mille hommes de chaque tribu sous ma bannière. Je puis seul montrer cent mille ingénieuses devises. »

  1. Longue arquebuse appelée aussi shamtal ; elle porte à une grande distance.