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LUCREZIA FLORIANI.

dessus de son âge. C’était là la première cause de l’amitié que cette dame avait prise pour elle, jusqu’au point de lui faire donner une éducation en dehors de sa condition, et de vouloir ensuite la marier avec son fils.



Et ce petit-là ? lui dit Lucrezia… (Page 26.)

Lucrezia avait donc appris de bonne heure à être garde-malade et quasi médecin dans l’occasion. Elle avait eu ensuite des amis, des enfants et des serviteurs malades, comme tout le monde peut en avoir, et elle les avait soignés elle-même comme tout le monde ne le fait pas. À force de chercher ardemment ce qui pouvait les soulager, et d’observer attentivement et délicatement dans les prescriptions des médecins, le bon ou le mauvais effet du traitement, elle avait acquis des notions assez justes sur ce qui convient aux organisations diverses, et une grande mémoire des moindres détails. Elle se rappela le mal que la médecine empirique des Italiens avait fait à sa chère Ranieri ; elle était persuadée qu’ils l’avaient tuée, après qu’elle-même avait quitté le pays. Elle ne voulut donc pas les appeler auprès du prince, et elle se chargea de le traiter.

Salvator fut très-effrayé de la responsabilité qu’elle voulait prendre, et qui pesait également sur lui. Mais le caractère confiant et brave de la Floriani l’emporta. Elle fit sortir de la chambre du malade ce bon Salvator, qui la fatiguait par ses anxiétés et ses irrésolutions. « Va surveiller les enfants, lui dit-elle, amuse-les, promène-toi avec eux, oublie que ton ami est malade ; car je te jure que tu n’es bon à rien avec ta sollicitude puérile et inquiète. Je me charge de lui et je t’en réponds. Je ne le quitterai pas d’un instant. »

Salvator eut bien de la peine à se tenir tranquille. La prostration de Karol était effrayante et semblait appeler des secours prompts et actifs. Mais la Floriani avait vu de ces phénomènes nerveux, et il lui suffisait de regarder les mains délicates du prince, sa peau blanche et transparente, ses cheveux fins et souples, un ensemble et des détails frappants, pour établir, entre lui et la maladie de madame Ranieri, des rapports qui ne trompent point le cœur d’une femme.

Elle s’attacha à le calmer sans l’affaiblir, et, certaine qu’il y a pour des organisations aussi exquises, des influences magnétiques d’un ordre élevé, qui échappent à l’observation vulgaire, elle appela souvent ses enfants autour du lit du prince, après s’être bien assurée que son