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JACQUES.

et je vois aussi, dans ce coup de cravache, accompagné d’un silence si complet sur sa découverte, plus de moquerie malicieuse que de véritable colère. Je parie qu’elle meurt d’envie qu’on amène son ami à ses genoux ; il est impossible qu’il en soit autrement ; cet Octave l’aime à la folie, puisqu’il fait des choses si extraordinaires pour la retrouver. Il a une figure charmante, du moins à ce qu’il m’a semblé quand je l’ai entrevu dans ma chambre au clair de la lune. Jacques est sévère et inexorable, il traite trop Sylvia comme un homme ; il ne devine pas les faiblesses du cœur d’une femme, et ne comprend pas, comme moi, ce que son courage doit cacher d’ennui et de souffrance. Si je refuse d’aider cette réconciliation, c’en est peut-être fait de son bonheur ; peut-être se condamnera-t-elle à une éternelle solitude ; et ce jeune homme, s’il allait se tuer en effet ! Je l’en croirais assez capable ; il semble véritablement épris. Que faire ? Je n’ose me décider à rien ; heureusement j’aurai le temps d’y penser d’ici à ce soir.



Dans la cabane d’un vieux garde-chasse. (Page 45.)

XLI.

D’OCTAVE À HERBERT.

Mon ami, je me suis hâté de remettre les choses sur le pied où elles doivent être ; car mes affaires commençaient à s’embrouiller. Fernande prenait mes plaisanteries au sérieux, et il était temps de la désabuser ; autrement je courais le risque ou d’être découvert et recommandé par elle à son mari, ou d’être forcé de lui faire la cour tout de bon. Je ne voulais ni l’un ni l’autre. Peut-être, avec ce caractère de femme craintif, nerveux, et toujours dans le paroxysme d’une émotion quelconque, m’eût-il été facile, aidé par le romanesque des circonstances, de tourner les choses à mon profit et de faire beaucoup de progrès en peu de temps. Les femmes comme Sylvia se donnent par amour ; mais, ou je me trompe bien, ou celles qui ressemblent à Fernande se laissent prendre sans savoir pourquoi, sauf à en être au désespoir le lendemain. Je ne pense pas ; que Lovelace, à ma place, eût agi aussi vertueusement que moi ; mais