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JACQUES.

ment charmante, cette Sylvia, avec son ton brusque et bon, ses grands yeux noirs si affectueux et ses manières franches. Elle est Italienne, autant que j’en puis juger par son accent et par une espèce de dialecte qu’elle parle avec Jacques. Ce dernier point me contrarie bien un peu ; ils peuvent se dire tout ce qu’ils veulent, et je comprends à peine quelques mots de leur entretien. Mais que je sois jalouse ou non, il m’est impossible de ne pas aimer une personne qui semble si dévouée à m’aimer. Elle s’est retirée de bonne heure, et Jacques m’a remerciée du bon accueil que je lui avais fait, avec une chaleur de reconnaissance qui m’a fait à la fois de la peine et du plaisir. Je suis bien contente de trouver une occasion de prouver à Jacques que je lui suis soumise aveuglément, et que je puis sacrifier les faiblesses de mon caractère au désir de le rendre heureux. Mais enfin, sais-tu, Clémence, que tout cela est bien extraordinaire, et qu’il y a bien peu de femmes qui pussent voir, sans souffrir, une amitié si vive entre leur mari et une autre femme jeune et belle ? Quand j’ai consenti à la recevoir, je ne savais pas, je ne pouvais pas imaginer qu’il l’embrasserait, qu’il la tutoierait ainsi. Je sais bien que cela ne prouve rien. Il m’a juré qu’il n’avait jamais eu et qu’il n’aurait jamais d’amour pour elle. Ainsi je ne puis pas m’inquiéter de leur intimité. Il la regarde et il la traite comme sa fille. Néanmoins, cela me fait un singulier effet d’entendre Jacques tutoyer une autre femme que moi. Il devrait bien ménager ces petites susceptibilités ; qui ne les aurait à ma place ? Dis-moi ce que tu penses de tout cela, et si tu crois que je puis me fier à cette Sylvia. Je le voudrais bien, car elle me plaît extrêmement, et il m’est impossible de résister à des manières si naturelles et si affectueuses.



De temps en temps elle frappait un accord mélancolique sur le piano (Page 43.)

XXXVI.

DE CLÉMENCE À FERNANDE.

Je pense, mon amie, qu’il serait absurde, vil et injuste de soupçonner M. Jacques d’avoir amené sa maîtresse dans ta maison. Ainsi je ne vois pas de quoi tu te tourmentes, car tu ne peux pas mépriser ton mari au point d’avoir contre lui un pareil soupçon. Que t’importe la beauté de cette jeune personne ? Cela pourrait être