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JACQUES.

siasme, tu es bien grande, et je devrais passer ma vie enchaîné à tes pieds ; si tu es ce que ma raison croit deviner parfois, cache-moi bien la vérité, trompe-moi habilement, car malheur à toi si tu te démasques ! Adieu ; reçois-moi comme tu voudras, dans trois jours je serai à tes genoux.



Il fume cinq heures sur six. (Page 38.)

XXVIII.

DE FERNANDE À CLÉMENCE.

Tu m’humilies, tu me brises ; si c’est la vérité que tu m’enseignes, elle est bien âpre, ma pauvre Clémence. Tu vois cependant que je l’accepte, toute cruelle qu’elle est, et que je reviens toujours à toi, sauf à être plus malheureuse qu’auparavant, quand tu m’as répondu. J’ai donc tort ? Mon Dieu, je croyais qu’avec un malheur comme le mien on ne pouvait pas être coupable. Les méchants sont ceux qui rient des peines d’autrui ; moi je pleure celles de Jacques encore plus que les miennes ; je sais bien que je l’afflige, mais ai-je la force de cacher mon chagrin ? Peut-on tarir ses larmes, peut-on s’imposer la loi d’être insensible à ce qui déchire le cœur ? Si quelqu’un est jamais arrivé à cette vertu, il a dû bien souffrir avant de l’atteindre ; son cœur a dû saigner cruellement ! Je suis trop jeune pour savoir déguiser mon visage et cacher mon émotion ; et puis, ce n’est pas Jacques qu’il me serait possible de tromper. Cette lutte avec moi-même ne servirait donc qu’à augmenter mon mal ; ce qu’il faudrait étouffer, c’est ma sensibilité, c’est mon amour ! Ô ciel, tu me parles de le vaincre ! Cette seule idée lui donne plus d’intensité ; que deviendrais-je à présent que j’ai connu l’amour, si je me trouvais le cœur vide ? Je mourrais d’ennui. J’aime mieux mourir de chagrin, la mort sera moins lente.

Tu prends le parti de Jacques, tu as bien raison ! c’est lui qui est un ange, c’est lui qui devrait être aimé d’une âme aussi forte, aussi calme que la tienne. Mais suis-je donc indigne de lui ? ne suis-je pas sincère et dévouée autant qu’il est possible de l’être ? Non ! ce ne sont pas des lueurs d’enthousiasme que j’ai pour lui, c’est une vénération constante, éternelle. Il m’aime vraiment, je le sais, je le sens ; il ne faut pas me dire qu’il n’aime de moi que ma jeunesse et ma fraîcheur ; si je le croyais !… non, cette idée est trop cruelle ! Tu es inexorable dans