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ISIDORA.


le sacrifice de sa vie entière, et qu’en souffrant mille tortures, il ne se serait jamais détaché de moi.



Petite mère, pourquoi vous êtes toute blanche ? ( Page 37.)

« Eh bien, ne soyez pas effrayée de ma résolution, Alice ! je la prends enfin avec calme. Hier encore, Jacques, plus pâle qu’un spectre, plus beau qu’un saint, me jurait qu’il ne me quitterait jamais, qu’il ne me manquerait jamais de parole. En voyant tant d’abnégation et de vertu, j’ai été prise tout à coup d’un accès de courage et de désintéressement, et je lui ai dit à jamais adieu dans mon cœur. Je vous écris de ma première station, sur la route d’Italie, et probablement il ignore encore, à l’heure qu’il est, que j’ai quitté Paris et brisé sa chaîne ! Voyez combien je suis guérie ! Je désire qu’il l’apprenne avec joie, et la seule tristesse que j’éprouve, c’est la crainte de lui laisser quelque regret.

« Pourquoi donc tardons-nous tant à faire ce qui est juste et bon ? Quelle fausse idée nous attachons à l’importance de nos sacrifices et à la difficulté de notre courage ! Il y a plus d’un an que je regarde comme une angoisse mortelle le détachement que je porte aujourd’hui dans mon cœur avec une sorte de volupté. Je ne savais pas que la conscience d’un devoir accompli pouvait offrir tant de consolation. Ma naïveté à cet égard doit vous faire sourire. Hélas ! c’est apparemment la première fois que je cède à un bon mouvement sans arrière-pensée. Puissé-je tirer de cette première et grande expérience la force d’abjurer dans l’avenir mon aveugle et impérieuse personnalité !

« Pourquoi ne m’avez-vous pas aidée, chère Alice, à entrer dans cette voie ? Ah ! si vous aviez aimé Jacques, avec quel enthousiasme je l’aurais rendu à la liberté !… Et pourtant, hier encore, je luttais contre vous… mais c’est que vous ne l’aimez pas… Pourtant, que sais-je ? votre langueur, votre mélancolie, cachent peut-être le même secret… Pardonnez-moi, je n’en dirai pas davantage, je vous respecte désormais au point de vous craindre. Voyez à quel point vous m’êtes sacrée ! La passion de Jacques pour vous était, pour moi, comme un reflet de votre image dans son âme, et, quoique je fusse en possession de son secret, jamais je n’ai osé le lui dire, jamais je n’ai osé vous combattre ouvertement et vous nommer à lui.

« Revoyez-le sans crainte et sans confusion. Il croit que le vieux Saint-Jean a brûlé son journal par mégarde.