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ŒUVRES DE ALBERT SAMAIN


Une après-midi qu’ils étaient seuls dans le grand salon donnant sur le jardin, la conversation, facticement enjouée, se figea tout à coup et ils restèrent l’un devant l’autre, silencieux. Par la fenêtre ouverte, des bruits lointains venaient de la ville industrieuse, roulements de voitures, marteaux de fonderies, rumeurs des rues, et le murmure continu des feuilles était harmonieux comme un bruissement de soie. La présence de quelque chose d’inavoué entre eux les emplissait d’un émoi grandissant. Divine en ressentait le malaise jusqu’à l’angoisse, et son âme palpitait toute sous le voile de ses longues paupières. Pour y échapper, elle alla au piano ouvert et se mit à jouer. Maurice s’approcha. Son cœur battait si fort qu’elle en percevait les larges coups, irréguliers et sourds. Tout à coup, elle sentit deux lèvres brûlantes, sèches de fièvre, qui se posaient sur son cou. Déjà elle s’était redressée, pâle d’une pâleur de mort. Comme une eau subitement troublée, ses yeux étaient devenus