Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
ŒUVRES DE ALBERT SAMAIN
L’obscurité est presque complète. À ce
moment, Polyphème surgit. Brusquement,
comme si quelque bouleversement
mystérieux se passait en
lui, il s’arrête et, lentement, lentement,
il abaisse ses poings.
POLYPHÈME,
à part, tordant ses mains.
Quel sentiment étrange arrête ainsi mes bras ?
J’ai beau vouloir… je sens que je ne pourrai pas.
Tant d’amour devant moi !… dérision vivante !…
Il veut encore s’élancer ; puis reste
comme pétrifié.
Je ne peux pas tuer !… Leur bonheur m’épouvante !.
Vaincu, il recule lentement.
GALATÉE,
se dressant à demi.
N’as-tu pas entendu ce bruit dans le buisson ?
ACIS,
la ramenant à lui, doucement.
Oui, souvent la nuit donne aux feuilles ce frisson.
Bruit de baisers. — Polyphème écoute :
une brusque poussée de fureur le
rejette en avant ; puis il s’arrête,
raidi de souffrance.
POLYPHÈME,
à part.
Oh ! ces larges baisers qui tombent goutte à goutte !…