Page:Samain - Œuvres, t3, 1921.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
ŒUVRES DE ALBERT SAMAIN


Quelque chose !… savoir !… Car son berger la hante
Avec ses yeux fendus, sa démarche traînante,
Ses cheveux partagés et sa houlette à fleurs.
Elle l’aime… Je sais qu’elle l’aime ! Ô douleurs !
Tout, son front et ses yeux, sa voix, tout ment en elle ;
Aussitôt qu’elle en parle, elle devient plus belle !

Il fait quelques pas d’un air sombre.

C’est qu’il est beau, lui !…
Moi, je vis, dès mon berceau,
Muré dans ma laideur comme dans un tombeau !…
Être laid ! N’avoir vu jamais sur son visage
Une femme arrêter son regard au passage,
N’avoir jamais senti, douce comme un soupir,
Passer sur soi l’haleine ardente d’un désir,
Et déborder pourtant d’amour et de tendresses !
Humblement, pauvrement, mendier des caresses,
Sans recevoir jamais, d’un geste de dédain,
Qu’une aumône qu’on donne en retirant sa main !…
Pourtant j’aime ! et je suis ardent et mon sang brûle.
Mais je n’ai qu’un grand cœur tendre jusqu’au scrupule.
Pour mon nom prononcé par elle doucement,
Je sens s’ouvrir en moi l’azur d’un firmament,