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POLYPHÈME


POLYPHÈME

  
Belle mer écumeuse et bleue où je suis né,
Mer, chaque aurore, neuve à mon œil étonné,
Golfe aux eaux de cristal… Montagne aux belles lignes,
Bords d’étangs caressés au plumage des cygnes,
Sources froides… ruisseaux… feuillage bruissant…
Comme je t’adorais, Cybèle au cœur puissant !
Grands chênes pleins d’oiseaux, troncs à l’écorce rude,
Comme j’étais royal dans votre solitude !
Et comme, à vous pareil, au renouveau des ans,
Je sentais mon cœur vierge éclater de printemps !
J’étais alors le fils bien-aimé de la terre.
La terre était à moi, la terre était ma mère ;
Et quand je m’étendais sur elle quelquefois,
Baigné du vent du large et de l’odeur des bois,
Il me semblait sentir une vague caresse
Du fond du sol sacré répondre à ma tendresse.

J’étais ardent et fort et libre en mes ébats.
L’eau des branches tombait au matin sur mes bras.
Debout, en plein soleil, je buvais la lumière.
À l’aurore, en piaffant, j’entrais dans la rivière,
Et j’avais, bondissant de la plaine au vallon,