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CONTES


Rovère, silencieux, contemplait ce spectacle ; ses yeux étaient pleins de lumière, et, comme ses lèvres remuaient sous de vagues paroles, on eût dit qu’il priait ; lentement il tendit vers la mer sa coupe où le vin étincela : ses amis l’imitèrent, et d’une voix grave ― comme on chante un hymne ― ils répétèrent : « Salut à Dionysos, salut à la Beauté ! »

Ce fut quelque temps après que Rovère perdit brusquement Viola Madori. Le coup qu’il ressentit de cette mort rapide fut terrible ; sa sensualité, comme déchirée toute vive, pleura du sang, et même, pendant un moment, ses amis craignirent qu’il ne se portât à quelque violence sur lui-même ; mais bientôt, après une courte période d’inerte stupeur, il sembla se réveiller, reprit les unes après les autres ses habitudes, étonné lui-même du goût qu’il se retrouvait à vivre. Son désespoir s’était du premier coup porté à l’extrême, avec l’intensité inconsciente d’une souffrance physique ; la crise passée, il percevait