Et la terre était douce et fondait sous les pas.
Jetant vers le voyage un appel symbolique,
Parfois un train lointain sifflait, mélancolique ;
Et des ombres passaient, lentes et parlant bas,
Pendant que les grands chiens pleuraient dans les villas.
Soudain d’un pavillon, qu’entourait le mystère,
J’entendis s’élever une voix solitaire
Qui vibrait dans le soir comme un beau violon ;
Et, me penchant un peu, dans un noble salon
Où flottait un passé d’Éloas et d’Elvires,
Je vis, à la lueur vacillante des cires,
Un visage de marbre avec de lourds bandeaux,
Et de grands yeux brillants de larmes aux flambeaux.
Anxieux, j’écoutai : la voix ardente et sombre
S’en allait si blessée, et si triste dans l’ombre,
Oh ! si divinement triste, que l’on eût dit
Une larme sur le visage de la Nuit !…
Jamais rien n’atteindra, pour émouvoir notre âme,
Le charme surhumain de la voix d’une femme
Qui, sur l’ivoire pâle où flotte son bras nu,
Raconte au vent nocturne un amour inconnu…
Quel secret disiez-vous, et quel mal sans remède,
Larges gouttes d’amour tombant dans la nuit tiède,
Sanglots d’un cœur que rien ne peut plus contenir
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ŒUVRES DE ALBERT SAMAIN