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SYMPHONIE HÉROÏQUE


Maints châteaux dans ses eaux claires mirent leurs tours
Et, charmant, il s’attarde, il serpente, il chatoie,
Une frange de fleurs à sa robe de soie.

Pourtant il reste en lui des flammes du passé ;
Et, parfois, quand l’hiver plus fort l’a terrassé,
Comme un taureau qu’on couche en pesant sur ses cornes,
Tout à coup, s’échappant, crevant les glaçons mornes,
Balayant l’horizon, brisant tout, tordant tout,
Faisant sauter les ponts de pierre d’un seul coup
— Car l’âme des fléaux géants est dans son âme —
Il arrive comme le vent, comme la flamme !
Et les peuples, béants d’horreur sur les coteaux,
Écoutent dans la nuit passer ses grandes eaux,
Jusqu’au jour où, lion fatigué de ravages,
Il retourne à pas lents dormir sur ses rivages,
Et reprend, souriant sous l’azur attiédi,
Le rêve nonchalant de ses après-midi.

Cependant il s’étend. Ses eaux autoritaires
Rançonnent durement les ruisseaux tributaires,
Et riche de ses flots par des flots augmentés,
Il marche comme un roi vainqueur vers les cités.