Page:Salverte - Essais de traductions, Didot, 1838.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins d’influence. Mais il est difficile d’assurer à tous un crédit égal : les uns tiennent de la vertu de leurs ancêtres un nom glorieux, des dignités et des clientèles nombreuses ; la plupart des autres semblent étrangers au sénat où on les a transplantés[1]. Que leurs avis soient affranchis de toute crainte : assuré du secret, chacun préférera ses droits à l’élévation d’autrui. La liberté est également désirable aux bons et aux méchants, aux braves et aux lâches : mais la plupart des hommes y renoncent par crainte, les insensés ! et immobiles, ils acceptent comme vaincus, ce que le sort du combat tient encore en balance.

Deux choses, par conséquent, peuvent rendre de la force au sénat : augmenter le nombre de ses membres, et les faire voter au scrutin. Le secret du scrutin donnera à chacun plus de courage pour voter librement ; et un grand nombre d’hommes offre

  1. La plupart des éditions portent inscia, étrangère aux affaires. Ce sens peut être adopté. L’ignorance des affaires, chez un grand nombre de sénateurs, donnait sur eux une dangereuse prépondérance à ceux qui en possédaient la connaissance ou étaient censés la posséder, grâce au temps depuis lequel leurs familles occupaient des places élevées dans l’État. J’adopte néanmoins, avec Dureau de la Malle et M. Durozoir, la leçon plus énergique donnée par Carrion : multitudo insititia, littéralement, (une multitude entrée récemment dans le sénat). Elle entraîne à la fois l’idée d’inexpérience et celle de défaut de crédit et de considération. C’en était assez pour que les nouveaux sénateurs n’osassent pas contrarier leurs puissants collègues ; aussi Salluste ajoute-t-il qu’il les faut affranchir de toute crainte en les faisant voter au scrutin secret.

    Observons que, suivant Dion Cassius, Mécène donna le même conseil à Auguste. Rien, en effet, ne semble plus propre à affranchir de la honte et de la crainte les hommes faibles dont ces motifs pourraient influencer le vote. En 1792-1794, les Jacobins voulaient proscrire l’usage des scrutins ; aujourd’hui les Radicaux anglais le réclament dans les élections, certains qu’elles en deviendraient beaucoup plus libres. Dans les délibérations de nos législatures, le scrutin a servi quelquefois la cause de la liberté et de la justice, et quelquefois la cause contraire. Voilà donc une de ces questions politiques que l’on ne peut trancher d’une manière absolue. Dans le même pays, dans le même temps, pour les mêmes hommes, sous l’empire des mêmes mœurs, l’opportunité varie suivant la nature de la question, le plus ou moins de force de l’opinion publique, l’habileté ou la puissance des adversaires que cette opinion doit combattre.