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vifs vingt centurions : ç’avait été comme le serment par lequel ils s’étaient engagés à cette guerre. D’avance ils s’étaient partagé le butin, tant la victoire leur paraissait certaine ! Les Chérusques avaient choisi les chevaux ; les Suèves, l’or et l’argent ; les Sicambres, les prisonniers. Mais le sort des armes en décida tout autrement. Drusus, vainqueur, distribua et vendit leurs chevaux, leurs troupeaux, leurs colliers et eux-mêmes. En outre, pour la garde de ces provinces, il borda de garnisons et de corps d’observation la Meuse, l’Elbe et le Véser ; il éleva plus de cinquante forts sur la rive du Rhin. Il fit construire des ponts à Bonn et à Gelduba[1] ; et des flottes pour protéger ces ouvrages. Il ouvrit aux Romains la forêt d’Hercynie, jusqu’alors inconnue et inaccessible. Enfin, une paix si profonde régna dans la Germanie que tout y changea, les hommes, le pays, le ciel même, qui semblait plus doux et plus serein qu’auparavant. Ce jeune héros y étant mort, ce ne fut pas par adulation, mais par une distinction bien méritée, et jusque-là sans exemple, que le sénat lui décerna le surnom de la province qu’il avait ajoutée à l’empire.

Mais il est plus difficile de garder des provinces que de les conquérir. La force les soumet, la justice les conserve. Aussi notre joie fut courte ; car les Germains étaient plutôt vaincus que domptés ; et ils avaient, sous un général tel que Drusus, cédé à l’ascendant de nos mœurs plutôt qu’à nos armes. Mais, après sa mort, Quinctilius Varus commença à leur devenir odieux par ses caprices et son orgueil, non moins que par sa cruauté ! Il osa les réunir en assemblée et leur rendre la justice dans son camp, comme si les verges d’un licteur ou la voix d’un huissier eussent été capables de réprimer l’humeur violente de ces barbares, qui, depuis longtemps, voyaient avec douleur leurs épées chargées de rouille et leurs chevaux oisifs. Dès qu’ils eurent reconnu que nos toges et notre jurisprudence étaient plus cruelles que nos armes, ils se soulevèrent sous la conduite d’Arminius. Varus cependant croyait la paix si bien établi que sa confiance ne fut pas même ébranlée par ce que lui révéla de la conjuration, Ségeste, l’un des chefs des Germains. Alors, ne prévoyant ni ne craignant rien de tel, il continua, dans son imprudente sécurité, à les citer à son tribunal, quand soudain ils l’attaquèrent, l’investirent de toutes parts, emportèrent son camp et massacrèrent trois légions (62). Varus, après ce désastre irréparable, eut le même destin et montra le même courage que Paulus, à la journée de Cannes. Rien de plus affreux que ce massacre au milieu des marais, au milieu des bois ; rien de plus révoltant que les outrages des Barbares, surtout à l’égard de ceux qui avaient plaidé les causes. Aux uns, ils crevaient les yeux ; aux autres, ils coupaient les mains. Ils cousirent la bouche à l’un d’eux, après lui avoir coupé la langue, qu’un barbare tenait à la main, en disant : « Vipère, cesse enfin de siffler. » Le corps même du proconsul, que la piété des soldats avait confié à la terre, fut exhumé. Les Germains ont encore en leur possession des drapeaux et deux aigles. La troisième, avant qu’elle tombât entre les mains

  1. Gell, dont il est fait mention dans Tacite.