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bauches. Détestant la guerre, après son expédition contre les Parthes, il s’abandonna à la mollesse ; et, captivé par les attraits de Cléopâtre, il se délassait, comme après tin triomphe, dans les bras de cette reine. L’Egyptienne demande, pour prix de ses caresses, l’empire romain à ce général ivre. Antoine le lui promet, comme s’il lui était plus facile de soumettre les Romains que les Parthes. Il prépare ouvertement ses moyens de domination. Il oublie sa patrie, son nom, sa toge, ses faisceaux ; et, pour le monstre de luxure qui l’asservit tout entier, il renonce à ses sentiments, à ses principes, à son costume. Il porte un sceptre d’or à la main, des poignards à son côté, une robe de pourpre agrafée avec de grosses pierres précieuses ; il ceint même le diadème, afin de jouir comme roi de cette reine.

Au premier bruit de ces nouveaux mouvements, César part de Brundisium pour aller au-devant de la guerre. Il place son camp en Epire et entoure d’une flotte formidable l’île et le promontoire de Leucade, et les deux pointes du golfe d’Ambracie. Nous n’avions pas moins de quatre cents vaisseaux ; les ennemis n’en avaient pas plus de deux cents ; mais l’infériorité de leur nombre était bien compensée par leur grandeur. Ils étaient tous de six à neuf rangs de rames, et surmontés en outre de tours à plusieurs étages ; on les eût pris pour des citadelles ou des villes flottantes ; la mer gémissait sous leur poids ; et les vents épuisaient leurs efforts à les mouvoir. L’énormité même de leur masse fut la cause de leur perte. Les navires de César n’avaient que trois ou, au plus, six rangs de rames ; propres à toutes les évolutions qu’exigeait leur service, ils attaquaient, se retiraient, se détournaient avec facilité, et, s’attachant plusieurs à une seule de ces lourdes masses inhabiles à toute manœuvre, les accablaient sans peine sous les coups réitérés de leurs traits, de leurs éperons et des machines enflammées qu’ils lançaient sur eux. Ce fut surtout après la victoire qu’apparut la grandeur des forces ennemies. Cette flotte immense, détruite par la guerre comme par un naufrage, était dispersée sur toute la mer ; et les vagues, agitées par les vents, vomissaient incessamment sur les côtes la pourpre et l’or, dépouilles des Arabes, des Sabéens et de mille autres nations de l’Asie[1].

La reine donne l’exemple de la fuite ; la première, elle gagne la haute mer sur son vaisseau à poupe d’or et à voile de pourpre. Antoine la suit de près ; mais César s’élance sur leurs traces. En vain ils ont préparé leur fuite sur l’Océan ; en vain ils ont pourvu par des garnisons à la défense de Parétonium et de Peluse, les deux boulevards de l’Egypte ; ils vont tomber aux mains de leur ennemi. Antoine se perce le premier de son épée. La reine, prosternée aux pieds de César, essaie sur les yeux du vainqueur le pouvoir des siens ; inutiles efforts ! Sa beauté n’égalait pas la continence du prince. Ce n’est pas au reste le désir de conserver une vie qu’on lui offre, qui agite Cléopâtre, mais celui de garder une partie de son royaume. Dès qu’elle n’espère plus l’obtenir de César, et qu’elle se voit réservée pour le triomphe, profitant de la négligence de ses gardes, elle va s’enfermer dans un mausolée, nom que les Égyptiens donnent aux tombeaux de leurs rois. Là, revêtue, selon son usage, de magnifi-

  1. Le 4 septembre de l’année 31 av. J-C. (720 de Rome.)