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au tribunal, et s’efforça de lui subroger Caius Gracchus, homme sans naissance et sans nom, qui, sous un titre supposé, se plaçait lui-même dans cette famille. Fier de voir impunis les outrages qu’il s’était fait un jeu de prodiguer à la république, Saturninus travailla si ardemment à faire recevoir les lois des Gracches qu’il força même les sénateurs à en jurer l’observation ; il menaçait d’interdire l’eau et le feu à ceux qui refuseraient ce serment. Un seul cependant se trouva, qui préféra l’exil. Le bannissement de Métellus avait consterné toute la noblesse, et le tribun, qui dominait déjà depuis trois ans, alla, dans l’excès de son délire, jusqu’à troubler les comices consulaires par un nouveau meurtre. Pour élever au consulat Glaucias, le satellite que s’était donné sa fureur, il fit assassiner Caius Memmius son compétiteur ; et il apprit avec joie que, dans le tumulte, ses satellites l’avaient lui-même appelé roi. Mais alors le sénat conspira sa perte, et aussitôt le consul Marius lui-même, ne pouvant plus le soutenir, se déclara contre lui. On en vint aux mains dans le Forum. Saturninus en fut chassé, et courut se saisir du Capitole. Mais, voyant qu’on l’assiégeait et qu’on avait coupé les conduits qui y amenaient de l’eau, il envoya témoigner au sénat son repentir, descendit de la citadelle avec les chefs de sa faction, et fut reçu dans cette assemblée. Le peuple y fit une irruption, accabla le tribun de coups de bâton et de pierres, et mutila son cadavre.

XVIII. — Sédition de Drusus. — (An de R. 662.) — Enfin, Livius Drusus entreprit d’assurer le triomphe de ces même lois, non seulement par la puissance tribunitienne, mais encore par l’autorité du sénat lui-même, et par l’assentiment de toute l’Italie. S’élevant d’une prétention à une autre, il alluma un si furieux incendie qu’on ne put en arrêter les premières flammes ; et, frappé d’une mort soudaine, il légua à ceux qui lui survivaient la guerre en héritage.

Par la loi sur les jugements, les Gracches avaient mis la division dans Rome, et donné deux têtes à l’Etat. Les chevaliers romains s’étaient élevées à une telle puissance, qu’ayant entre leurs mains la destinée et la fortune des principaux citoyens, ils détournaient les deniers publics et pillaient impunément la république. Le sénat, affaibli par l’exil de Métellus, par la condamnation de Rutilius, avait perdu tout l’éclat de sa majesté.

Dans cet état de choses, deux hommes égaux en richesses, en courage, en dignité (et cette égalité même avait allumé la jalousie de Livius Drusus), se déclaraient l’un, Servilius Cæpion (26), pour l’ordre des chevaliers, l’autre, Livius Drusus, pour le sénat. Les enseignes, les aigles, les drapeaux étaient déployés de part et d’autre, et les citoyens formaient ainsi comme deux camps ennemis dans la même ville. Caepion, engageant la lutte contre le sénat, accusa de brigue Scaurus et Philippe, chefs de la noblesse. Drusus, pour résister à ces attaques, appela le peuple dans son parti, en renouvelant les lois des Gracches, et attira les alliés dans celui du peuple, par l’espoir du droit de cité. On rapporte de lui cette parole : « Qu’il n’avait laissé aucune autre répartition à faire que celle de la boue ou de l’air (27). » Le jour de la promulgation de ces lois étant arrivé,