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rante années, jusqu’à ce que, vaincu dans trois guerres sanglantes, il fût accablé par le bonheur de Sylla, le courage de Lucullus, la grandeur de Pompée[1].

Le motif de ces hostilités, celui qu’il allégua à l’ambassadeur Cassius, était l’invasion de ses frontières par Nicomède, roi de Bithynie. Mais, dans le fait, plein d’orgueil et d’ambition, il aspirait à la possession de l’Asie entière, de l’Europe même, si la conquête en était possible. Nos vices lui donnaient cet espoir audacieux. Les guerres civiles qui nous divisaient lui semblaient une occasion favorable ; Marius, Sylla, Sertorius lui montraient de loin les flancs de l’empire sans défense. Au milieu de ces plaies de la république et de ces agitations tumultueuses, le tourbillon de la guerre pontique, formé sur les hauteurs les plus éloignées du septentrion, vient tout à coup, et comme après avoir choisi le moment, éclater sur les Romains fatigués et livrés aux déchirements. La Bithynie est emportée aussitôt, dans le premier effort de la guerre. L’Asie est bientôt saisie de cette terreur contagieuse ; les villes et les peuples de notre domination s’empressent de se ranger sous celle du roi. Présent partout, il pressait ses conquêtes, et la cruauté lui servait de courage. Quoi de plus atroce en effet que ce seul édit par lequel il ordonna le massacre de tous les hommes de la cité de Rome qui se trouvaient en Asie ? Alors furent violés les maisons, les temples, les autels, tous les droits humains et divins. L’effroi de l’Asie ouvrait encore au roi le chemin de L’Europe. Ses lieutenants, Archélaüs et Néoptolème, qu’il avait détachés de son armée, occupèrent les Cyclades, Délos[2], l’Eubée, Athènes même, l’ornement de la Grèce ; mais Rhodes resta plus fidèle à notre cause. La terreur qu’inspirait ce roi s’était déjà répandue dans l’Italie et même jusque dans la ville de Rome.

Lucius Sylla, ce grand homme de guerre, se hâte, et, opposant à l’ennemi une impétuosité égale à la sienne, il le repousse. Il fait d’abord le siège d’Athènes ; il la presse par la famine, et qui le croirait ? il réduit cette ville, la mère des moissons, à se nourrir de chair humaine. Il ruine bientôt le port du Pyrée, renverse plus de six enceintes de murailles ; et, après avoir dompté les plus ingrats des hommes (c’est ainsi qu’il appelait les Athéniens), il leur pardonne cependant en considération de leurs ancêtres, de leurs cérémonies sacrées et de leur célébrité. Ensuite, ayant chassé de l’Eubée et de la Béotie les garnisons du roi, il disperse toutes ses troupes dans deux batailles, à Chéronée, à Orchomène[3]. Il passe sur-le-champ en Asie, et accable Mithridate lui-même. C’en était fait de ce prince, si Sylla n’eût mieux aimé précipiter qu’assurer son triomphe.

Voici l’état où Sylla laissait l’Asie. Il conclut avec le roi de Pont un traité (9) qui rendit la Bithynie à Nicomède, la Cappadoce à Ariobarzane ; et, de cette manière, l’Asie rentra sous notre domination, comme par le passé. Mais Mithridate n’était que repoussé, et ses revers l’avaient moins abattu qu’irrité. Amorcé, pour ainsi dire, par la conquête de l’Asie et de l’Europe, il ne les regar-

  1. Allusion aux surnoms de ces trois Romains.
  2. Une des Cyclades.
  3. Deux ville situées dans les vastes plaines de la Béotie.