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nes, de nouveaux corps d’hommes, que le désespoir poussait à la mort. Ainsi des cendres assoupies d’un embrasement jaillit une flamme soudaine. Se voyant enfin perdus, quarante mille Carthaginois se rendirent à discrétion, et, ce que l’on croira moins facilement, à leur tête était Asdrubal. Qu’une femme, l’épouse de ce général, montra bien plus de courage ! Prenant avec elle ses deux enfants, elle se précipita du comble de sa maison dans les flammes, imitant la reine qui fonda Carthage. On peut juger de la grandeur de cette ville par la seule durée de l’incendie : à peine, en effet, put-il être éteint après dix-sept jours de ravages continus. Les ennemis avaient eux-mêmes livré aux flammes leurs maisons et leurs temples. Ne pouvant arracher la ville aux Romains, ils voulaient au moins consumer leur triomphe (42).

XVI. — Guerre d’Achaïe. — (An de R. 607). — Comme si le cours de ce siècle eût été destiné à la destruction des villes, la ruine de Carthage fut immédiatement suivie de celle de Corinthe, la capitale de l’Achaïe, l’ornement de la Grèce, et qui semblait exposée en spectacle entre deux mers, celle d’Ionie et la mer Égée[1]. Les Romains, par un crime odieux, accablèrent cette ville avant de l’avoir déclarée leur ennemie. Critolaüs fut la cause de la guerre, en tournant contre eux la liberté qu’il leur devait. II outragea leurs ambassadeurs peut-être par des violences, mais certainement par ses discours.

Métellus, alors chargé spécialement de régler les affaires de la Macédoine, le fut aussi de la vengeance de Rome, et la guerre d’Achaïe commença. Dès la première rencontre, le consul Métellus[2] tailla en pièces les troupes de Critolaüs, dans les champs spacieux de l’Élide, tout le long des rives de l’Alphée[3]. Une seule bataille avait terminé la guerre, et déjà Corinthe redoutait un siège ; mais, ô caprice du sort ! Métellus avait combattu ; Mummius se présenta pour la victoire. Il battit entièrement Diéus, autre général des Corinthiens, à l’entrée même de l’isthme, et teignit de sang les deux ports. Abandonnée enfin de ses habitants, cette ville fut d’abord saccagée, ensuite rasée au son de la trompette. Que de statues, d’étoffes, de tableaux furent enlevés, brûlés, et dispersés ! On peut évaluer l’immensité des richesses livrées au pillage et aux flammes par tout ce qu’il y a aujourd’hui dans le monde de l’airain tant vanté de Corinthe, qui fut, dit-on, le résultat de cet incendie. En effet, le désastre d’une ville si opulente produisit une espèce d’airain d’une qualité supérieure ; métal formé du mélange de statues et de simulacres sans nombre, mis en fusion par le feu, et coulant en ruisseaux d’airain, d’or et d’argent (43).

XVII. — Expéditions d’Espagne. — (An de Rome 535 - 615.) Comme Corinthe avait suivi Carthage, ainsi Numance suivit Corinthe. Dès lors il n’y eut plus rien dans tout l’univers qui échappât à l’atteinte de nos armes. Après les incendies fameux de ces deux villes, la guerre se répandit au loin et de tous côtés, non plus par degrés, mais partout en même temps, comme si, du sein de ces villes, les vents déchaînés eussent dispersé dans tout l’univers le feu des combats.

  1. V. Pline, l. 4, c. 4.
  2. Il était préteur, et non consult.
  3. La bataille ne se donne point en Elude, mais auprès de Scarphée, bourg de la Lorde, sur la frontière de Thessalie.