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une flotte et une armée contre les Numides, et souvent menacé les frontières de Massinissa (40). Les Romains protégeaient ce roi, leur fidèle allié. La guerre était à peine résolue, qu’on délibéra sur les mesures qui devaient la suivre. Il faut détruire Carthage ! tel était l’arrêt que prononçait Caton dans sa haine implacable, lors même qu’on prenait son avis sur un autre sujet. Scipion Nasica voulait qu’on la conservât, de peur que, délivrée de la crainte d’une ville rivale, Rome ne se laissât corrompre par la prospérité (41). Le sénat prit un terme moyen ; ce fut d’ordonner que la ville changerait seulement de place. Rien, en effet, ne paraissait plus beau que de voir Carthage subsister et n’être pas à craindre.

Alors, sous le consulat de Manilius et de Censorinus, le peuple romain attaque Carthage. Sur quelque espérance de paix, elle livre volontairement sa flotte, et la voit incendier. On mande ensuite les principaux citoyens ; « il leur faut, s’ils veulent vivre, sortir de leur territoire » : tel est l’ordre qu’on leur donne. Cet arrêt barbare soulève tellement leur indignation qu’ils préfèrent recourir aux dernières extrémités. La douleur devient aussitôt publique ; l’on crie tout d’une voix aux armes, et l’on prend la résolution d’épuiser tous les moyens de défense : ce n’est pas qu’il reste encore aux Carthaginois quelque espoir de salut ; mais ils aiment mieux voir leur patrie détruite par les mains de l’ennemi que par les leurs. A quelle fureur les porte ce soulèvement ! On va le comprendre : pour la construction d’une nouvelle flotte, ils arrachent la charpente des toits et des maisons ; à défaut d’airain et de fer, ils forgent, dans les ateliers d’armes, l’or et l’argent ; pour faire les cordages des machines de guerre, les femmes coupent leurs cheveux.

Bientôt le consul Mancinus presse le siège par terre et par mer. Les ouvrages du port sont renversés ; le premier mur est emporté, puis le second, puis le troisième. Cependant la citadelle, nommée Byrsa[1], était comme une autre ville qui résistait encore. Quelque inévitable que fût la ruine de Carthage, le nom des Scipion, si fatal à l’Afrique, parut cependant nécessaire pour la consommer. La république jeta donc les yeux sur un second Scipion, et réclama de lui la fin de la guerre. Il devait le jour à Paul le Macédonique ; et le fils du grand Africain l’avait adopté pour la gloire de sa maison : le destin l’avait ainsi voulu, pour qu’une ville ébranlée par l’aïeul fût renversée par le petit-fils. Mais comme les morsures des bêtes aux abois sont d’ordinaire les plus dangereuses, Carthage, à demi détruite, coûta plus à dompter que Carthage encore entière. Après avoir poussé les ennemis dans la citadelle, leur seul refuge, les Romains bloquèrent le port de mer. Les assiégés en creusèrent un second d’un autre côté de la ville, non pour fuir, mais pour que personne ne doutât qu’ils eussent pu s’échapper par cet endroit. On en vit tout à coup sortir une flotte, qui semblait née par enchantement. Cependant, chaque jour, chaque nuit, apparaissaient des môles nouveaux, de nouvelles machi-

  1. Du mot grec (cuir, peau). Car hage ayant été, dit-on contruite sur un emplacemement contenant l’espace que pouvait embrasser une peau de bœuf coupée en lanières (V. Virg Æn. l. 1.) D’autres le font venir qui signifie citadelle en langue punique. V. Appian im Libye. l. 17.