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fortune de Carthage (29). » tel fut le premier aveu arraché à ce guerrier, sans doute par le pressentiment du destin qui le menaçait. Dès lors il était certain qu’Annibal, à l’en croire lui-même, pouvait être vaincu. Mais ce n’était point assez pour le peuple romain ; plein de confiance après tant de prospérités, il avait surtout à cœur d’accabler dans l’Afrique ce terrible ennemi. Il s’y porta donc sous la conduite de Scipion, avec toute la masse de ses forces, et commença d’imiter Annibal, en vengeant sur l’Afrique les malheurs de l’Italie. Quelles troupes, grands dieux ! que celles d’Asdrubal ! quelles armées que celles de Syphax, qu’il mit eu déroute ! quelle force et quelle étendue avaient leurs deux camps, qu’il détruisit en y mettant le feu, dans une seule nuit ! Bientôt il n’était plus seulement à trois milles de Carthage ; il en battait les portes, il en pressait le siège. Cette diversion eut pour effet d’arracher de l’Italie Annibal, attaché à cette proie dont il se repaissait. Il n’y eut pas pour l’empire romain un plus grand jour que celui où les deux premiers capitaines qui eussent existé jusqu’alors et qui aient paru depuis, l’un, vainqueur de l’Italie, l’autre, de l’Espagne, déployèrent enseignes contre enseignes, et se préparèrent au combat. Ils eurent cependant une conférence pour traiter de la paix. Ils restèrent longtemps immobiles, dans une mutuelle admiration[1]. La paix ne se conclut pas, et aussitôt les trompettes donnèrent le signal. Il est constant, de l’aveu des deux généraux, « qu’on ne pouvait, de part et d’autre, ni faire de meilleures dispositions, ni combattre avec plus d’ardeur ». Scipion rendit ce témoignage de l’armée d’Annibal, Annibal de celle de Scipion. Toutefois, Annibal succomba ; l’Afrique fut le prix de la victoire ; et le monde ne tarda pas à suivre le sort de l’Afrique (30).

VII. — Première guerre de Macédoine. — (An de Rome 535-558.) — Carthage vaincue, nul peuple ne rougit de l’être. Aussitôt après furent soumises, comme l’Afrique, les nations de la Macédoine, de la Grèce, de la Syrie, et toutes les autres, entraînées, pour ainsi dire, par le tourbillon, par le torrent de la fortune (31). On soumit tout d’abord les Macédoniens, ce peuple qui avait jadis aspiré à l’empire du monde. Aussi, quoique Philippe occupât alors le trône, les Romains croyaient-ils avoir à combattre un Alexandre. Ce fut toutefois le nom de la nation, plutôt que sa puissance, qui donna de l’importance à la guerre de Macédoine. La cause qui la fit commencer fut l’alliance contractée par le roi Philippe avec Annibal, quand celui-ci dominait en Italie (32). Ce motif devint plus puissant lorsque les Athéniens implorèrent notre secours contre les violences de ce roi, qui, abusant du droit de la victoire, détruisait les temples, les autels et même les tombeaux. Le sénat consentit à porter assistance à d’aussi illustres suppliants. Rome était déjà le recours et l’appui des princes, des peuples, des nations.

Sous le consulat de Lévinus, le peuple romain parut donc pour la première fois sur la mer Ionienne ; sa flotte parcourut comme en triomphe tous les rivages de la Grèce, étalant les dépouilles de la Sicile, de la Sardaigne, de l’Espagne, de l’Afrique. Un laurier né sous la poupe du vaisseau

  1. V. Tite-Live, l. xxx, c. 30. Plutar., in Scip. vit. Sil. Italic, l. xvii