Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/663

Cette page n’a pas encore été corrigée

mis qu’on les amenât eu sa présence, pour ne pas paraître avoir effleuré, seulement des yeux, leur pureté virginale.

Le peuple romain obtenait ces succès dans diverses parties du monde ; et cependant, comme attaché aux entrailles de l’Italie, Annibal ne pouvait en être arraché. La plupart des villes avaient quitté notre cause pour la sienne ; et cet irréconciliable ennemi, tournait contre les Romains les forces même de l’Italie. Déjà, toutefois, nous l’avions chassé de quantité de places et de contrées. Tarente était revenue à nous ; déjà nous tenions assiégée Capoue, la résidence, le domicile, la seconde patrie d’Annibal[1]. La perte de cette ville fut si douloureuse au général carthaginois qu’il tourna toutes ses forces contre Rome. O peuple digne de l’empire du monde, digne de la faveur de tous les dieux et de l’admiration de tous les hommes ! Au milieu des plus pressantes alarmes, il ne se désista d’aucune entreprise ; et, réduit à craindre pour Rome même, il n’abandonna cependant pas Capoue. Une partie de l’armée y fut laissée sous le consul Appius ; l’autre suivit Flaccus à Rome, et le peuple romain combattait loin d’elle et près d’elle tout à la fois. Devons-nous donc nous étonner que, quand Annibal, pour l’attaquer, leva son camp placé à trois milles, les dieux eux-mêmes, oui, les dieux (ne rougissons pas de l’avouer), l’aient une seconde fois arrêté ? En effet, à chacun de ses mouvements, des torrents de pluie tombèrent avec une telle force, les vents s’élevèrent avec une telle violence, qu’il semblait que cet orage, suscité par les dieux pour repousser l’ennemi, partit, non du ciel, mais des murs mêmes de Rome et du haut du Capitole. Il se retira donc en fuyant et se cacha dans le fond de l’Italie, heureux du moins d’avoir quitté Rome sans s’être prosterné devant elle. Une chose légère en elle-même, mais qui prouve assez manifestement la grandeur d’âme du peuple romain, c’est que, pendant les jours de ce siège, le champ sur lequel Annibal avait assis son camp, fut mis à l’encan à Rome, et trouva un acheteur. Annibal voulut imiter une semblable confiance ; il mit à son tour en vente les comptoirs des banquiers de la ville ; mais il ne se présenta pas d’acquéreur (28). C’était un nouveau présage des destins.

Tant de preuves de courage, tant de marques même de la faveur des dieux n’avaient rien fait encore. Asdrubal, frère d’Annibal, s’avançait avec une nouvelle armée, de nouvelles forces, un nouvel appareil de guerre. C’en était fait sans aucun doute, si ce général eût opéré sa jonction avec son frère ; mais, comme il traçait son camp, il fut, lui aussi, battu par Claudius Néron, uni à Livius Salinator. Néron avait poussé Annibal jusqu’aux derniers confins de l’Italie : Livius avait dirigé son armée vers une partie tout opposée, c’est-à-dire, vers les défilés où l’Italie prend naissance. Franchissant cet immense intervalle que mettait entre les consuls toute la longueur de l’Italie, avec quel concert, avec quelle célérité ils se joignent, unissent leurs drapeaux et surprennent Asdrubal, sans qu’Annibal soupçonne ce qui se passe ! Comment l’exprimer ? A la nouvelle du ce désastre, à l’aspect de la tête de son frère jetée dans sou camp : « Je reconnais, dit Annibal, l’in-

  1. Sil. Ital. l. ii, v. 247.