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Noles[1]. On ose encore, sous Sempronius Gracchus, le poursuivre à travers la Lucanie et le serrer de près dans sa retraite, bien qu’alors, ô honte ! l’on ne combattît qu’avec une poignée d’esclaves ; car c’est à cette extrémité qu’avaient réduit tant de malheurs ; mais, après avoir reçu la liberté, d’esclaves qu’ils étaient, ils étaient devenus des Romains.

Étonnante confiance au milieu de tant d’adversités ! admirable force d’âme ! audace toute romaine ! Dans une position si embarrassante et si déplorable, quand le salut de son Italie est encore douteux, Rome ose cependant porter ses regards sur d’autres contrées ; et tandis qu’inondant la Campanie et l’Apulie, les ennemis lui tiennent le fer sur la gorge, et font déjà de l’Italie même une seconde Afrique, en même temps qu’elle leur résiste, elle envoie et répartit ses armées en Sicile, en Sardaigne, en Espagne, par toute la terre (26).

La Sicile, assignée à Marcellus, ne lui résista pas longtemps. Toute l’île fut en effet vaincue dans une seule ville. Cette grande capitale, jusqu’alors invincible, Syracuse, quoique défendue par le génie d’Archimède, fut enfin forcée de céder[2]. Sa triple enceinte, ses trois forteresses, son port de marbre, et sa célèbre fontaine d’Aréthuse[3], ne purent lui servir qu’à être, en faveur de sa beauté, épargnée par le vainqueur.

Gracchus s’empara de la Sardaigne. Ni le courage féroce de ses habitants, ni la hauteur prodigieuse de ses montagnes insensées[4] (car c’est ainsi qu’on les appelle) ne purent la protéger. Il traita les villes avec rigueur, surtout Caralis, la ville de ses villes, afin de dompter au moins, par le regret de voir dévaster le sol de sa patrie, une nation obstinée et qui se faisait un jeu de la mort.

Les deux Scipions, Cnæus et Publius, envoyés en Espagne, l’avaient presque entièrement arrachée aux Carthaginois. Mais, victimes des pièges de la ruse punique, ils la perdirent à leur tour, après avoir néanmoins épuisé, dans de grandes batailles, les forces carthaginoises. L’un deux tomba sous le fer des perfides Africains, comme il traçait son camp ; l’autre périt au milieu des flammes dans une tour où il s’était réfugié.

Alors, Scipion fut envoyé avec une armée pour venger son père et son oncle ; c’était à lui, que, selon le décret des destins, l’Afrique devait donner un nom si grand. Cette belliqueuse Espagne, fameuse par ses guerriers et par ses combats, cette pépinière des armées ennemies, cette école d’Annibal, il la reconquit tout entière, ô prodige ! depuis les Pyrénées jusqu’aux colonnes d’Hercule et à l’Océan. Fut-ce avec plus de rapidité que de bonheur ? la rapidité, quatre ans l’attestent ; le bonheur, une seule cité le prouve. En effet, assiégée et prise le même jour, la Carthage de l’Espagne[5], si facilement vaincue, fut le présage de la réduction de celle de l’Afrique (27). Cependant la soumission de cette province doit être attribuée surtout à la rare continence du général qui rendit aux Barbares leurs enfants captifs et de jeunes filles d’une grande beauté, sans même avoir per-

  1. Ville voisine de Naples.
  2. V. Polyb, l. viii, c. 3 ; Tite-Live, l. xxiv, c. 33, 34, Plut. in Marcella.
  3. Située dans l’île d’Ortygie. V. Virg. eglog. X. et Ovid. Métam. l. v.
  4. Elles formaient une chaîne coupant en deux la Sardaigne, et étaient aussi appelées, soit parce qu’on ne croyait pas possible de les franchir, soit parceque leurs sommets semblaient braver le ciel.
  5. Carthagène, qui porte aujourd’hui le même nom, dans le royaume de Valence.