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brèrent, pour la première fois, un triomphe maritime. Quelle fut alors leur allégresse ! Duillius, commandant de la flotte, non content du triomphe d’un seul jour, ordonna que, durant toute sa vie, lorsqu’il reviendrait de souper, on le reconduisît, à la lueur des flambeaux et au son des flûtes, comme s’il eût triomphé tous les jours (3). Une victoire aussi importante fit paraître léger l’échec qu’éprouva l’autre consul, Cornélius Asina, qui, attiré à une feinte conférence, fut accablé par les ennemis : triste exemple de la perfidie punique (4) !

Le dictateur Calatinus chassa presque toutes les garnisons carthaginoises, celle d’Agrigente, de Drépane, de Panorme, d’Éryx et de Lylibée. Une fois, cependant, l’armée romaine eut à trembler au passage du bois de Camérinum ; mais elle dut son salut au courage héroïque de Calpurnius Flamma, tribun militaire, qui, avec trois cents hommes d’élite, s’empara d’une hauteur d’où les ennemis, qui en étaient maîtres, menaçaient notre armée ; et il les retarda suffisamment pour donner le temps à toute l’armée de s’échapper. Ce succès éclatant égala la renommée des Thermopyles et de Léonidas. Notre héros l’emporta même sur le Spartiate. Il est vrai qu’il n’écrivit rien avec son sang ; mais il sortit de cette périlleuse expédition sans y laisser la vie.

La Sicile étant déjà une province et un faubourg de Rome, la guerre s’étendit plus loin, sous le consulat de Lucius Cornélius Scipion ; il passa en Sardaigne, puis dans la Corse, qui en est une annexe. Par la ruine d’Olbia, dans la première de ces îles, et d’Aléria dans la seconde, il jeta l’épouvante parmi leurs habitants, et vint à bout, sur terre et sur mer, de tous les Carthaginois, si bien qu’il ne restait dès lors plus rien à vaincre que l’Afrique même (5).

Déjà, sous le commandement. de Marcus Atilius Régulus, la guerre, traversant les flots, passe dans l’Afrique. Il ne manquait pas de Romains pour trembler d’épouvante au seul nom de la mer Punique, et le tribun Mannius augmentait encore leur terreur ; au cas où ils n’obéiraient pas, il les menaça de la hache, et leur inspira, par la crainte de la mort, la hardiesse de s’embarquer. La flotte fit bientôt force de voiles et de rames ; grande fut l’alarme des Carthaginois à l’arrivée de leurs ennemis, et peu s’en fallut que l’on ne surprît Carthage les portes ouvertes.

Le premier fruit de la guerre fut la ville de Clypéa[1] ; car elle se présente la première sur le rivage de l’Afrique, dont elle est comme la citadelle et le poste d’observation. Cette place et plus de trois cents forteresses furent dévastées. Outre les hommes, on eut des monstres à combattre. Né comme pour la vengeance de l’Afrique, un serpent, d’une prodigieuse grandeur, désola notre camp assez près de Bagrada (6). Mais Régulus triompha de tout ; après avoir répandu au loin la terreur de son nom, tué ou mis dans les fers une grande partie de la jeunesse, et même des généraux ; après avoir envoyé d’avance à Rome une flotte chargée d’un riche butin et de l’immense appareil d’un triomphe, il pressait déjà le siège de Carthage elle-même, le foyer de la guerre, et était campé à ses portes. Ici la fortune eut un retour passager, destiné seulement à multiplier les exemples de la vertu romaine, dont la grandeur

  1. Située à l’orient de Carthage, et peu distante du cap Hermée, aujourd’hui cap Bon.