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d’Asculum, en Apulie[1], sous les consuls Curius et Fabricius. Déjà en effet l’épouvante occasionnée par les éléphants s’était dissipée ; et Caius Minucius, hastaire de la quatrième légion, en coupant la trompe de l’un d’eux, avait montré que ces animaux pouvaient mourir. Dès lors on les accabla aussi de traits, et des torches lancées contre les tours couvrirent les bataillons ennemis tout en tiers de débris enflammés. Le carnage ne finit que quand la nuit sépara les combattants, et le roi lui-même, blessé à l’épaule, et porté par ses gardes sur son bouclier, fut le dernier à fuir.

Une dernière bataille fut livrée en Lucanie par les mêmes généraux que j’ai nommés plus haut, dans les plaines qu’on nomme Arusines[2] ; mais ici la victoire fut complète, et, pour la décider, le hasard fit ce que d’ailleurs eût fait la valeur romaine. Les éléphants étaient de nouveau placés sur le front de l’armée ; un d’eux, tout jeune encore, fut grièvement blessé d’un trait qui lui perça la tête ; il tourna le dos, et écrasa, dans sa course, les soldats de cette armée. A ses cris douloureux, sa mère le reconnut et s’élança comme pour le venger. Tout lui parait ennemi, et, par sa lourde masse, elle porte le désordre autour d’elle. Ainsi ces mêmes animaux, qui avaient enlevé la première victoire et balancé la seconde, nous livrèrent la troisième sans résistance.

Ce ne fut pas seulement par les armes et sur les champs de bataille, mais encore dans nos conseils et au sein de notre ville, que l’on eut à combattre Pyrrus. Ce roi artificieux ayant, dès sa première victoire, reconnu la valeur romaine, désespéra dès lors d’en triompher par les armes, et recourut à la ruse. En conséquence, il brûla nos morts, traita les prisonniers avec bonté, et les rendit sans rançon. Ayant ensuite envoyé des ambassadeurs à Rome, il s’efforça par tous les moyens de conclure un traité et d’acquérir notre amitié. Mais, dans la paix comme dans la guerre, au dedans comme au dehors, dans toutes les occasions, on vit éclater la vertu romaine ; et, plus qu’aucune autre, la victoire de Tarente montra le courage du peuple romain, la sagesse du sénat, la magnanimité de nos généraux. Quels hommes c’étaient en effet que ceux qui, dans la première bataille, furent, nous dit-on, écrasés sous les pieds des éléphants ! Tous avaient reçu leurs blessures à la poitrine ; quelques— uns étaient morts sur leurs ennemis ; l’épée était restée dans leurs mains, la menace sur leurs visages, et, dans la mort même, leur courroux vivait encore (83). Aussi Pyrrhus dit-il plein d’admiration : « Combien la conquête de l’univers serait facile, ou à moi avec des soldats romains, ou, aux Romains avec un roi tel que moi ! » Et quelle activité, dans ceux qui survécurent, pour former une nouvelle armée ! « Je le vois, dit encore Pyrrhus, je suis né sous la constellation d’Hercule ; comme celles de l’hydre de Lerne, toutes les têtes abattues de mes ennemis renaissent de leur sang. » Quelle grandeur encore dans ce sénat (84) ! Témoin la réponse de ses ambassadeurs chassés de Rome avec leurs présents, après le discours d’Appius Cœcus[3] ; Pyrrhus leur demandait ce qu’ils pensaient de la demeure de ses ennemis ; ils avouèrent « que Rome leur avait

  1. Il ne faut pas confondre cette ville d’Asculum avec la capitale du Picenum.
  2. Plaines situées non dans la Lucante, mais dans le Sammium, aux environs du Bénévent.
  3. V. Cicer. De Senect., c. 6.