Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/650

Cette page n’a pas encore été corrigée

enfants de la terre (74). Toutefois, cette victoire ne laissa pas d’être sanglante ; car Décius, l’un des consuls, accablé par l’ennemi dans le fond d’une vallée, dévoua, à l’exemple de son père, sa tête aux dieux Mânes ; et, au prix de ce sacrifice solennel, ordinaire dans sa famille, il racheta la victoire (75).

XVIII. — Guerre contre Tarente et contre le roi Pyrrhus. — (An de Rome 471 — 481.) Vient ensuite la guerre de Tarente (76), que l’on croirait, d’après ce titre et ce nom, dirigée contre un seul peuple ; mais qui, par la victoire, en embrasse plusieurs. En effet, les Campaniens, les Apuliens, les Lucaniens, les Tarentins, auteurs de cette guerre, c’est-à-dire l’Italie entière, et, avec tous ces états, Pyrrhus (77), le plus illustre roi de la Grèce, furent comme enveloppés dans une ruine commune ; de sorte qu’en même temps cette guerre consommait la conquête de l’Italie, et était le prélude de nos triomphes d’outre-mer.

Tarente, ouvrage des Lacédémoniens (78), autrefois capitale de la Calabre, de l’Apulie et de toute la Lucanie, est aussi renommée pour sa grandeur, ses remparts et son port, qu’admirable par sa position : en effet, située à l’entrée même du golfe Adriatique, elle envoie ses vaisseaux dans toutes les contrées, dans l’Istrie, l’Illyrie, l’Épire, l’Achaïe, l’Afrique, la Sicile. Au-dessus du port, et en vue de la mer, s’élève un vaste théâtre, qui fut l’origine de tous les désastres de cette ville malheureuse. Les Tarentins y célébraient par hasard des jeux, lorsqu’ils aperçurent une flotte romaine ramant vers le rivage (79) ; persuadés que ce sont des ennemis, ils se lèvent aussitôt, et, sans réfléchir, ils se répandent en injures. « Qui sont, disent-ils, et d’où viennent ces Romains ? » Ce n’est pas assez : des ambassadeurs étaient venus porter de justes plaintes ; on en insulte la majesté par un outrage obscène et qu’il serait honteux de rapporter (80) ; ce fut le signal de la guerre. L’appareil en fut formidable, par le grand nombre de peuples qui se levèrent à la fois en faveur des Tarentins ; Pyrrhus, plus ardent que tous les autres, et brûlant de venger une ville à moitié grecque, qui avait les Lacédémoniens pour fondateurs, venait par mer et par terre, avec toutes les forces de l’Épire, de la Thessalie, de la Macédoine, avec des éléphants jusqu’alors inconnus, et ajoutait encore à la force de ses guerriers, de ses chevaux et de ses armes, la terreur qu’inspiraient ces animaux.

Ce fut près d’Héraclée, sur les bords du Liris, fleuve de la Campanie (81), et sous les ordres du consul Lévinus, que se livra le premier combat. Il fut si terrible qu’Obsidius, commandant de la cavalerie Férentine[1], ayant chargé le roi, le mit en désordre et le força de sortir de la mêlée, dépouillé des marques de sa dignité. C’en était fait de Pyrrhus, lorsqu’accoururent les éléphants qui changèrent, pour les Romains, le combat en spectacle. Leur masse, leur difformité, leur odeur inconnue, leur cri aigu, épouvantèrent les chevaux qui, croyant ces ennemis nouveaux plus redoutables qu’ils n’étaient en effet, causèrent, par leur fuite, une vaste et sanglante déroute (82).

On combattit ensuite avec plus de succès, près

  1. Farentum ou Ferentinum, ville du Latium, dans le pays des Hermiques.