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liberté la suprème puissance dont il changea toutefois le nom et les droits. En effet, de perpétuelle, elle devint annuelle ; unique auparavant, elle fut partagée ; on voulait prévenir la corruption attachée à l’unité ou à la durée du pouvoir ; le nom de rois fit place à celui de consuls, qui rappelait à ces magistrats qu’ils ne devaient consulter que les intérêts de leurs concitoyens (53). Tel fut l’excès de la joie qu’inspira la liberté nouvelle, qu’à peine put-on croire au changement opéré dans l’état ; et qu’à cause de son nom seulement et de sa naissance royale, un des consuls se vit enlever ses faisceaux et banni de la ville. Valérius Poplicola, qui lui fut substitué, travailla avec le plus grand zèle à augmenter la majesté d’un peuple libre. Il fit abaisser ses faisceaux devant lui, dans les assemblées, et lui donna le droit d’appel contre les consuls eux-mêmes. Enfin, de peur qu’on ne prit ombrage de ce que sa maison, placée sur une éminence, offrait l’apparence d’une citadelle, il la fit rebâtir dans la plaine. Quant à Brutus, ce fut par le sang de sa famille et par le parricide qu’il s’éleva au faite de la faveur populaire. Ayant découvert que ses fils travaillaient à rappeler les rois dans la ville, il les fit trainer sur la place publique, battre de verges au milieu de l’assemblée du peuple, et frapper de la hache. Il parut, aux yeux de tous, être ainsi devenu le père de la patrie, et avoir, à la place de ses enfants, adopté le peuple romain.

Libre désormais, Rome prit les armes contre les étrangers, d’abord pour sa liberté, bientôt après pour ses limites, ensuite pour ses alliés, enfin pour la gloire et pour l’empire, contre les continuelles attaques des nations voisines. En effet, sans territoire qu’ils pussent appeler le sol de la patrie, ayant à combattre au sortir même de leurs murs, placés entre le Latium et l’Étrurie, comme entre deux grands chemins, les Romains à toutes leurs portes rencontraient un ennemi ; mais toujours marchant de proche en proche, ils subjuguèrent les unes après les autres les nations voisines, et rangèrent toute l’Italie, sous leur domination.

X. — Guerre contre Porsena, roi des Étrusques. — (An de Rome 246). — Après l’expulsion des rois, ce fut d’abord pour la liberté que Rome prit les armes. Porsena, roi des Étrusques, s’avançait à la tête d’une puissante armée, et ramenait avec lui les Tarquins. Mais, malgré le fer et la famine qui pressaient les Romains, malgré la prise du Janicule, d’où ce roi, déjà maître des portes de leur ville, paraissait les dominer, on se soutint, on le repoussa. Bien plus, on le frappa de tant d’étonnement, que, supérieur en forces, il se hâta de conclure, avec des ennemis à demi-vaincus, un traité d’alliance. Alors parurent ces modèles et ces prodiges de l’intrépidité romaine, Horatius, Mucius et Clélie, prodiges qui, s’ils n’étaient consignés dans nos annales, passeraient aujourd’hui pour des fables. Horatius Coclès, n’ayant pu repousser lui seul les ennemis qui le pressaient de toutes parts, fait couper le pont où il combattait, et passe le Tibre à la nage sans abandonner ses armes (54). Mucius Scévola pénètre par ruse dans le camp du roi ; mais croyant le frapper, c’est un de ses courtisans qu’il atteint. On l’arrête ; il met sa main dans un brasier ardent, et redoublant par un adroit mensonge la terreur qu’il inspire : « Tu vois, dit-il au roi, à