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VIE DE SALLUSTE.

lon, Sallusle conserva contre lui de vifs ressentiments, dont il lui donna de funestes marques dans l’occasion. Mais l’accident qu’il venait d’essuyer le dégoûta tout à fait du commerce des femmes de qualité. Préférant moins d’honneur et plus de sûreté, il se rejeta sur des femmes d’un plus bas étage, c’est-à-dire sur des filles d’affranchis, près desquelles il espéra jouir d’un plaisir qui ne serait plus corrompu par la crainte ; et ne les aima pas avec moins de passion et de violence qu’il avait fait en plus haut rang, lorsque la gloire des conquêtes servait d’aiguillon à son amour.

Cependant Salluste avait atteint l’âge de parvenir aux charges. Nous ignorons en quel temps il obtint celle de questeur, qui donnait entrée au sénat et servait de degré pour arriver aux premières places. Mais certainement il l’exerça, puisqu’on n’en pouvait avoir d’autre qu’après avoir rempli celle-ci ; s’il l’obtint à l’âge de vingt-sept ans, fixé par les lois, ce fut vers l’an 695, sous le consulat de Pison et de Gabinius. On peut en douter, puisque ce n’est que huit ans plus tard que, pour la première fois, nous le verrons paraître dans les affaires du gouvernement. Mais ce fut probablement à cet âge, où la raison commence à mûrir, qu’il prit la pensée d’écrire l’histoire romaine, non pas d’abord en entier ni de suite ; mais par morceaux détachés, en choisissant dans le grand nombre des traits les plus mémorables. À ce dessein, il s’attacha au célèbre grammairien natif d’Athènes, Ateius Pretextatus, qui professait alors l’éloquence à la jeune noblesse de Rome, et que l’étendue de ses connaissances, ainsi que la variété de ses écrits ont fait surnommer le philologue. Ateius rédigea pour Salluste l’histoire romaine en abrégé, afin de lui présenter d’un coup d’œil les différents points qu’il voudrait choisir et traiter ; Salluste fut toute sa vie avec lui, dans une intime liaison. Après la mort de celui-ci, le grammairien s’attacha à Pollion, et devint son maître dans l’art d’écrire l’histoire, sur lequel il composa un traité exprès pour son élève. Je remets à parler des ouvrages de Salluste au temps où il les finit et les publia pendant sa retraite. De nouveaux troubles civils, de terribles émeutes populaires auxquelles il eut grande part, interrompirent le cours de ses études ; il avait alors trente-trois ans. C’est ici le temps de sa vie le plus intéressant pour l’histoire et celui où je m’arrêterai davantage. Les choses méritent d’être reprises de plus haut ; on verra quel esprit il y portait.

La conjuration de Catilina, quoique étouffée dans son principe, fut une de ces secousses violentes qui précipitent la chute d’un état. Le complot, tout horrible qu’il était, n’avait pas déplu à la faction populaire ; car la noblesse était détruite s’il eût réussi. Elle saisit avec avidité le prétexte du supplice des conjurés, pour perdre Cicéron, l’un des principaux appuis du sénat ; et réellement le consul les avait fait mourir avec plus de justice au fond que de régularité dans la forme. On trouva dans Clodius, ami de Salluste, un ministre impatient de servir cette iniquité. César se prêta volontiers à soutenir Clodius. Tous deux avaient leurs raisons, déjà rapportées dans cette histoire, où l’on a vu quelles avaient été les causes et les effets de cette fameuse dissension qui pensa porter le dernier coup à la république. Selon l’apparence, l’avantage en serait resté à Cicéron, s’il eût voulu pousser les choses à bout. Mais, moitié par faiblesse, moitié par amour pour sa patrie, il n’en voulut pas venir aux extrémités. Menacé par les consuls, lâchement abandonné par Pompée, il s’exila lui-même, laissant le champ libre à Clodius d’exercer sa rage sur son nom et sur ses biens. Clodius, resté maître du champ de bataille, redoubla de pouvoir et d’insolence ; il disposa souverainement de la populace ; tout ce qui osa lui résister fut dans l’instant sacrifié à sa furie ; il tint pendant plus d’un an le sénat dans l’oppression ; il saccagea la maison du préteur Cécilius, et suscita tellement la populace à crier contre lui, sous prétexte de la cherté du pain, pendant que ce préteur faisait célébrer les jeux apollinaires, que tous les spectateurs assis au théâtre furent obligés de prendre la fuite. Pompée lui-même ne fut plus assez fort pour s’en mettre à l’abri. Un incident vrai ou supposé fit grand bruit entre eux deux. Pompée étant entré au sénat, le 3 des ides du mois d’août, on apporta au consul Gabinius un poignard qu’on disait être tombé de dessous l’habit d’un domestique de Clodius. On crut reconnaître ce poignard pour avoir appartenu à Catilina, et on débita que le valet était venu avec commission de son maître de tuer Pompée. Celui-ci sortit du sénat comme effrayé, et se retira chez lui, où, à ce que portent les registres journaux, il fut encore guetté jusque dans sa maison par un nommé Damion, affranchi de Clodius.

Enfin Pompée, qui, le plus souvent, ne voyait clair que par l’événement, commença de sentir qu’il avait fait une faute grossière en abandonnant Cicéron. Haï du sénat, méprisé par le peuple, il voulut au moins regagner le premier par le rappel de l’exilé, et se servit pour cela du ministère de Milon, alors tribun du peuple, homme intrépide et entreprenant, à qui il promit de lui faire obtenir le consulat, s’il y réussissait. Milon convoqua les comices ; mais, au milieu de l’assemblée, Clodius fondit avec ses satellites sur cette multitude sans défense, en tua ou blessa plusieurs, et dispersa le reste. Les tribuns du peuple s’étaient partagés. Dans cette division, les uns tenaient pour Clodius, les autres pour Cicéron. Sestius, l’un des derniers, fut tellement blessé dans le choc, que la faction de Clodius le crut mort. Pour se tirer d’affaire sur ce fâcheux événement, elle imagina de tuer aussi l’un des tribuns de son parti, dans l’espérance que ce