Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/20

Cette page n’a pas encore été corrigée
8
VIE DE SALLUSTE.

épreuves où l’on était obligé de passer dans l’administration de la république ; mais ils n’ont pas eu moins de soin pour les bien dépeindre ; et qui examinera leurs éloges avec un peu de curiosité et d’intelligence, y découvrira une étude particulière et un art infiniment recherché.

En effet, vous leur voyez assembler des qualités comme opposées, qu’on n’imaginerait pas se pouvoir trouver dans une même personne ; animus, audax, subdolus ; vous leur voyez trouver de la diversité dans certaines qualités qui paraissent tout à fait les mêmes, et qu’on ne saurait démêler sans une grande délicatesse de discernement ; subdolus, varius, cujuslibet rei simulator ac dissimulator.

Il y a une autre diversité dans les éloges des anciens, plus délicate, qui nous est encore moins connue. C’est une certaine différence dont chaque vice ou chaque vertu est marquée par l’impression particulière qu’elle prend dans les esprits où elle se trouve. Par exemple, le courage d’Alcibiade a quelque chose de singulier qui le distingue de celui d’Épaminonas, quoique l’un et l’autre aient su exposer leur vie également ; la probité de Caton est autre que celle de Catulus ; l’audace de Catilina n’est pas la même que celle d’Antoine ; I. l’ambition de Sylla et celle de César n’ont pas une parfaite ressemblance ; et de là vient que les anciens, en formant le caractère de leurs grands o iKjmmes, forment, pour ainsi dire, en même " temps le caractère des qualités (pi’ils leur donnent, alin (|u’ils ne paraissent pas seulement ambitieux.. et hardis, ou modérés et prudents ; mais ipi’on • sache plus particulièrement (pielle était l’espèce • d’auiliilion et de courage ou de modéiation et de prudence qu’ils ont eue.

Salluste nous dépeint Catilina comme un homme o de méchant naturel ; et la méchanceté de ce natiuel est aussitôt exprimée:fi’d ingénia inatoque pravoque. L’espèce de son ambition est disiin•> guce par le déiéglemenl de ses manus, et le dérèglement est maripié, à l’égaiil du caractère Il de son esprit, par des imaginations trop vastes et • trop élevées; vastus uniinus immoderata, ini > credibilia, niinis alla semper cupiebat. Il avait l’esprit assez méchant pour entreprendre toutes u choses contre les lois, et trop vaste pour se fixer à " des desseins propres aux moyens de les faire réussir.

L’esprit hardi d’une fenune voluptueuse et 1’impudique, telle qu’était Sempronia, eut pu faire « croire que son audace allait à tout entreprendre eu faveur de ses amours ; niais, comme cette.sorte)’de hardiesse < st peu propre pour les dangers où l’on s’expose dans une conjuration, Sallusle ex » plicpie d’abord ce qu’elle t>l capable de faire par ce qu’elle a fait auparavant:nnti inulta sa’ve virilis audaviw fcuinura commiserat. Voilà l’esIl pèce de son audace exprimée. Il la fait chanter et Il danser non avec les façons, les gestes et les mouvements ipi’avaient à Rome les chantemset les ba-il ladines, mais avec plus d’art et de curio>ilé qu’il n’était bienséant à une honnête femme; psatlere Il et saltarc clegantiùs qiiàni neces.te sit probœ. Il Quand il lui attribue un es|)nt assez otimable, il dit en même temps n quoi consistait le mérite Il de cet esprit:ccvlerum ingen’nmi rjus haxid abIl surdtim, versus facere, jocos movcre, scrmone Il uti vel modesto, vel molli, velprucaci.

Vous connaîtrez, dans l’éloge de Sylla, que son naturel s’accommodait heureusement à ses desseins. La républicpie alors étant divisée en deux factions, ceux qui aspiraient à la piùssaiiee n’avaient point de [ihn grand intérêt que de s’acquérir des amis; et Sylla n’avait pas de plus grand plaisir Il que de s’en faire. La libéralité est le meideur Il mi.yen pour gagner les affections:Sylla savait donner touies choses. Parmi Us choses ciu’on Il donne, il n’y a rien (jui assujettisse plus li-s houunes, classiu-e tant leurs services, que l’argent Il qu’ils reçoivent de nous; c’est en (pini la libéralité Il de Sylla était particulièrement exercée : rcnim Il omuiinn, pecuniat maxime largilur. Il était libéral de son naturel, libàal de son argent par Il intérêt. Son loisir était voluptueux ; mais ce n’eût Il pas été donner ime idée de ce grand homme que Il de le dépeindre avec de la sensualité ou de la « paresse ; ce qui oblige Salin te de marquer le Il caractère d’une volupté d’honnête homme, soiiIl mi.se à la gloire, et par qui les affaires ne sont Il jainais retardées, de peur tpi’on ne vînt à soupçonner Sylla d’une mollesse où languissent d’ordinaire les efféminés : voliiptatum cupidus, gloriœ cu-II pidior, otio luxuriuso esse, tamen ù negotiis Il nunquam voluptas remorata. Il « lait le plus Il lieuiux homuie du monde avant la guerre civile ; Il mais ce bonhemn’était [las un pur effet du ba-il sard ; et sa fortune, queUpie grande qu’elle fût Il toujours, ne se trouva jamais au-dessus de ion industrie : a/guc illifclicissimo omnium ho}nimn)^ Il ante civilem victoriam, 7iunquam super indus-II triam forluna fuit. »

On devient aisément maître des hommes pénétrés. Ainsi on peut présumer qu’avec un pareil talent, Salluste, peu retenu d’ailleurs par les motifs de scrupule et de probité, se serait élevé peut-être au delà de ses espérances, si son cœur n’eût été nuisible h son esprit, et s’il n’eût eu lui-même autant que personne le faible (pi’il connaissait si bien eu autrui, île se laisser trop entraîner à son caractère. D’im autre côté, l’état actuel du gouvernement, lorsqu’il entra dans le monde, ne lui fut pas un moindre obstacle. Lorsqu’il naquit, Rome était divisée par les factions de.Marais et de Sylla, qui, l’une sous le nom du