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la vertu. Mais des hommes tels que ceux-cy, & des faineants, toute la force deſquels eſt attachee au bout de la langue ; maintiennent arrogamment vne puiſſance tyrannique, qui leur a eſté rauie fortuitement, & par le peu de courage d’vn autre. Car quelle ſedition, ou quelle guerre Ciuile a ruyné de fonds en comble tant de nobles familles, qu’a faict ceſte-cy ? A-t’on veu iamais vne ſemblable victoire, ou des courages ſi déreiglez, & ſi dépourveus de raiſon ? Bien que L. Sylla (auquel par vn droict de guerre toutes choſes ont eſté loiſibles en ſa victoire) fut tres-aſſeuré que Sulpitius deffédoit le party de ſon ennemy, toutesfois n’en ayant occis que bien peu, il ayma mieux gaigner le reſte par biens-faicts que par crainte. Mais de par les Dieux, il n’en eſt pas ainſi maintenant. L. Domitius, Caton, & les autres du meſme party, enſemble quarante Senateurs, & pluſieurs ieunes hommes qui promettoient beaucoup d’eux ont eſté cruëllement aſſommez comme des Hoſties. Et neantmoins ceſte engeance d’hommes execrables & importuns, n’a iamais eſté bien ſaoulée du ſang de tant de miſerables Citoyens ! Ny les enfans orphelins, ny les meres & les peres caſſez de vieilleſſe, ny les gemiſſements des marys, ny les pleurs des femmes, n’ont iamais peu fléchir leur cruel courage, ny empeſcher que leurs dicts & leurs faicts deuenans pires de iour en iour, ils n’ayent chaſſé les vns de leurs dignitez, & les autres de la ville.

Qu’eſt-il beſoin de vous dire que ces hommes ſont ſi laſches & ſi méchans, qu’ils ne ſe ſoucient point de mourir, pourueu qu’ils ayent moyen de vous offencer ? Car la Souueraineté qu’ils ont euë, bien que ſans l’eſperer, ne leur donne pas tant de plaiſir que voſtre dignité leur apporte de regret. D’ailleurs, ils ayment bie mieux hazarder leur liberté à voſtre domage, que voir l’Empire du Peuple Romain deſià grãd, eſleué par voſtre moyen à ſon plus haut ſommet. Cela eſtant, il vous faut d’autant plus ſoigneuſement aduiſer de quelle ſorte vous pourrez eſtablir & affeurer ceſte affaire. Pour moy, ie vous diray hardiment ce qu’il m’en ſemble ; & quant au reſte ie m’en remettray à voſtre eſprit, ſelon l’apparence, & le proffit que vous y penſerez treuuer.

C’eſt mon opinion que la ville eſt diuiſee en deux partys (comme ie l’ay appris de nos Deuanciers) le premier deſquels eſt celuy des Pères, ou des Senateurs ; & le ſecond celuy du Peuple. Si l’on a veu par le paſſé, que l’authorité des l’eres eſtoit ſouueraine, la puiſſance du Peuple a eſté beaucoup plus grande.