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les Chefs Souverains ſe conſeillent mal, & s’eſtiment d’autant plus forts que ceux auſquels ils commandent ſont moins gens de bien.

Il n’en eſt pas ainſi de vous, ô Ceſar, qui au contraire d’eux eſtes vn Prince bon & vaillant. C’eſt pourquoy vous deuez taſcher de commander à des ſubjects qui n’ayent point l’ame mauuaiſe : Car les meſchans ne peuuent ſouffrir vn Maiſtre qu’à contre-cœur. Ie ſçay que l’eſtabliſſement de ceſte affaire vous donnera plus de peine, que n’ont faict cy-deuant toutes vos conqueſtes guerrieres. En la guerre contre les eſtrangers, vous aucz conduit plus doucement les affaires en leur propoſant la paix. En ceſte-cy les vaincueurs demandent le butin, & vos Citoyens y ſont les vaincus.

Pour vous tirer de ſi grandes difficultez le meilleur expedient que i’y voye, eſt d’affermir deſormais la Republique, non ſeulement par les armes, & contre ſes ennemis : mais (ce qui eſt beaucoup plus penible & plus important) par de bons exercices de paix. Voylà pourquoy ceſte action inuite ceux qui ſont deſià rompus, ou mediocrement verſez aux affaires à vous conſeiller le mieux qu’ils pourront. Pour moy, c’eſt mon opinion que toutes vos autres entrepriſes ſe porteront bien ou mal, ſelon l’ordre que vous donnerez à voſtre victoire. Or affin que vous y puiſſiez pouruoir plus facilement, [1]ie m’en vay vous dire ce qui n’en ſemble en peu de parolles.

Vous auez faict la guerre, ô Empereur, à vn homme de noble extraction, grandement riche, plein d’ambition, & beaucoup. plus heureux que ſage. Quelques-vns, qui ſe font rendus eux-meſmes vos ennemis par leur faute, ont ſuiuy ſon party auec ceux qui luy eſtoient alliez ou parents. Car nul n’a eſté participant de ſa Souueraineté, veu que s’il euſt peu ſouffrir telle choſe, le monde ne ſeroit point oppreſſé de guerre, comme il l’eſt maintenant. Tout le reſte du menu peuple s’eſt auſſi mis de ſon coſté, pluſtoſt par couſtume, que par vn iugement raſſis.

Ce fut en ce meſme temps que certains hommes prodigues, & en qui toutes choſes eſtoient fouïllees de deshonneur & de vilainie, eſperans d’enuahir la Republique par les execrables conſeils des meſchans, s’allerent ietter pelle-meſle dans voſtre camp. Là ils menaçoient ouuertement les bons Citoyens d’enſeuelir leur repos, & de mettre tout au pillage. Bref ils leur faiſoient toutes les menaces que leur courage perdu leur dictoit.

  1. eſcoutez ce que mon eſprit me conſeille de vous dire.